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l’Arbeiterbund ; il n’avait voulu parler que des anarchistes, c’est-à-dire des membres de la Fédération jurassienne, qui avaient arboré le drapeau rouge le 18 mars. Et il ajoutait : « Vous trouvez incompréhensible que le président du Grand-Conseil ait pu faire mention de ces anarchistes, qui vous paraissent insignifiants par leur nombre, leurs principes et leur tactique. Mais je vous renvoie d’abord à votre propre déclaration d’après laquelle vous combattez depuis un an les principes et l’influence des anarchistes. Pourquoi cela était-il nécessaire, s’ils sont aussi insignifiants que vous le prétendez ? Il me semble que, sur ce point, vous et moi nous avons tendu au même but. Je suis bien persuadé, sans doute, que jamais les anarchistes n’obtiendront dans notre patrie une influence prépondérante ; mais cela n’empêche pas qu’ils pourraient, avec le temps, devenir assez forts pour amener sur nos belles vallées des malheurs incalculables. »

L’Arbeiterbund bernois avait obtenu ce qu’il désirait : le président du Grand-Conseil lui avait délivré un certificat de patriotisme, et avait constaté qu’il était l’allié de l’autorité dans sa lutte contre les anarchistes. Aussi le Bulletin (6 mai), après avoir rapporté ces choses édifiantes, put-il dire à M. Karl Moor et à ses amis :


Continuez, braves gens, votre propagande déloyale contre nous, pendant que la police bernoise nous assommera et que les tribunaux bernois nous condamneront : on peut espérer qu’en unissant leurs efforts, l’Arbeiterbund et le gouvernement, qui tendent tous les deux au même but, comme le dit si bien M. Sahli, finiront par extirper du sol suisse l’Internationale et ses principes, et alors M. Sahli s’écriera du haut de son fauteuil de président : « Gloire à l’Arbeiterbund ! grâce à lui, nous avons triomphé des hommes de désordre qui voulaient vivre sans travailler sur les ruines de nos institutions ! »


Dans le canton de Zürich, une réunion de propriétaires de filatures avait résolu d’organiser une demande de referendum contre la loi sur les fabriques votée par les Chambres fédérales : il ne s’agissait pour cela que de recueillir trente mille signatures. Si la loi était soumise au vote populaire, Messieurs les fabricants se tenaient pour assurés qu’elle serait rejetée. Les sociétés politiques ouvrières zuricoises, qui savaient bien, elles aussi, les résultats qu’on pouvait craindre de cette manœuvre, décidèrent de s’opposer énergiquement à la demande de referendum, et convoquèrent, à cet effet une grande assemblée de protestation pour le dimanche 13 mai. M. Salomon Vogelin, professeur et membre du Conseil national[1], consentit, à la demande des organisateurs, à prononcer un discours dans cette assemblée, — en y mettant pour condition qu’il n’y aurait dans le cortège aucun drapeau rouge. Le Comité d’organisation accepta, mais beaucoup d’ouvriers protestèrent. La Section de langue française de l’Internationale à Zürich (adhérente à la Fédération jurassienne) décida de se rendre à la manifestation avec le drapeau rouge, et de quitter le cortège si le Comité lui défendait formellement de porter ce drapeau. Un membre de la Section zuricoise envoya au Bulletin, au lendemain de la manifestation, un récit de ce qui s’était passé le 13 mai ; il disait :


Le dimanche donc, notre Section, plus la corporation des tailleurs, celle des typographes, et la gemischte Gewerkschaft (société des métiers divers), se réunirent à la Meierei pour se rendre ensemble sur la place de la Caserne, où devait se former le grand cortège. Nous étions environ trois cents, précédés du drapeau rouge, et beaucoup de membres du Deutscher Verein et de la corporation des menuisiers se joignirent à nous. Lorsque notre colonne arriva près de la caserne, M. Greulich s’avança vers nous.

  1. C’était un radical légèrement teinté de socialisme.