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partie de cette bande. Elle a cherché à faire des recrues en offrant de l’argent (???), mais personne n’a voulu se joindre à elle (???). La force publique garde tous les passages, et il est impossible que la bande s’échappe (???).

« Une dépêche de Milan, du 13, nous annonce que l’agitation augmente, que les bandes comptent actuellement des centaines d’hommes, et que des troupes sont envoyées contre elles sous le commandement du général de Sauzet. Une autre dépêche prétend que la bande de Cerreto serait capturée.

« Nous engageons nos lecteurs à se méfier de toutes les nouvelles que pourra apporter le télégraphe, et à attendre, pour se former un jugement, que des renseignements sérieux et dignes de foi nous soient parvenus. »


Tandis que j’étais sous le coup de l’émotion produite par ces nouvelles, Brousse fut victime, chez moi. d’un grave accident qui aurait pu avoir des suites fatales. Il avait fait le 14 avril, à Saint-Imier, une conférence sur « le 18 mars à Berne ». Le lendemain dimanche, il était allé à la Chaux-de-Fonds, et y avait répété sa conférence dans la grande salle de l’hôtel de ville, devant un auditoire qui comptait beaucoup d’ouvriers de langue allemande, membres du Demokratischer Verein ; la conférence fut traduite en allemand, après quoi une intéressante discussion s’engagea dans les deux langues. « L’heure étant avancée, un membre de l’Internationale annonça qu’une prochaine séance publique de la Section serait spécialement consacrée à exposer et à discuter, devant nos amis allemands, les principes défendus par la Fédération jurassienne. » Le lundi après-midi 16, Brousse arriva à Neuchâtel, où il devait, le soir, faire une troisième fois sa conférence, au Cercle des ouvriers ; Kropotkine l’avait accompagné. Mais pendant qu’ils étaient chez moi, Brousse fut pris d’une hémorragie nasale (il y était sujet, lorsqu’il se trouvait fatigué par les veilles et le surmenage), que nous eûmes beaucoup de peine à arrêter. Il nous parut prudent de renoncer à la conférence du soir ; j’exhortai Brousse à rentrer à Berne, et, suivant mon conseil, il prit avec Kropotkine le chemin de la gare. Mais quelques minutes plus tard, tous deux sonnaient de nouveau à ma porte : l’hémorragie venait de recommencer de plus belle. Brousse nous dit que, lorsque le saignement de nez ne s’arrêtait pas spontanément, il avait recours à un enveloppement de tout le corps dans un drap mouillé, moyen infaillible, affirmait-il. Nous lui appliquâmes ce remède héroïque, qui cette fois se montra impuissant ; l’hémorragie persistait. Très inquiet, je courus chercher un médecin : celui-ci (c’était le vieux Dr Reynier) fit mettre le malade au lit, et essaya sans succès, pendant des heures, d’arrêter le sang par divers moyens ; il annonça enfin qu’il allait être obligé de procéder au tamponnement des narines. Pendant que nous préparions, Kropotkine et moi, aidés de ma femme, les tampons de coton, attachés à des ficelles, le sang cessa enfin de couler, et l’on put renoncer à l’emploi de cette ressource suprême. Mais la situation restait critique ; un rien, un mouvement, une toux légère, une parole, pouvait détacher les caillots, et ramener l’hémorragie. La nuit était venue, et le pauvre Brousse, épuisé par la perte de son sang, aurait voulu s’assoupir ; mais le médecin nous déclara qu’il faudrait absolument l’empêcher de dormir, parce que, pendant le sommeil, sa respiration détacherait certainement les caillots des narines ; il nous donna donc la barbare consigne de tenir le malade éveillé toute la nuit. Nous passâmes la nuit entière au chevet de Brousse, nous relayant d’heure en heure, Kropotkine et moi, pour surveiller sa respiration, et lui pinçant le bras pour l’empêcher de sommeiller, malgré la pitié que nous inspirait le martyre du patient. Enfin, au matin, le médecin revint ; il permit à Brousse de prendre du lait, et de dormir un peu durant la journée. Il fallut continuer à observer de grandes précautions pendant deux ou trois jours encore. Vers la fin de la semaine, le malade put commencer à se lever ; et le samedi 21 il était assez bien pour qu’il fût possible de le conduire en voiture à la gare, d’où, accompagné toujours par l’excellent Pierre, il prit le train pour Berne. Le lendemain ou le surlendemain, Kropotkine put le quitter et rentrer à la Chaux-de-Fonds.


Pendant la semaine que Brousse et Kropotkine avaient passée chez moi,