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projeté l’ancien garibaldien Salvatore Farina, par l’intermédiaire duquel de nombreux paysans avaient été enrôlés. Il se trouva que cet homme était un traître. Il avait de grands besoins d’argent ; et, après en avoir tiré de nos camarades le plus qu’il put, il imagina de s’en faire donner aussi par le gouvernement italien. Il vendit donc au ministre Nicotera, qu’il avait connu autrefois, ce qu’il savait du complot, dénonça les paysans affiliés, qui furent tous arrêtés vers la fin de mars, puis disparut[1]. Les internationalistes qui étaient à la tête de l’organisation se tenaient sur leurs gardes ; ils réussirent à se mettre en sûreté, et la police ne put se saisir d’eux. Mais la trahison de Farina plaça nos amis en présence de cette alternative : ou bien abandonner complètement leur projet, ou bien, s’ils voulaient tout de même tenter quelque chose, agir sur-le-champ. La saison n’était pas encore assez avancée pour que les montagnes fussent praticables ; mais, d’autre part, si on attendait, on risquait, maintenant que l’éveil était donné, de voir tous les conjurés arrêtés l’un après l’autre. On opta donc pour l’action immédiate. Kraftchinsky (qui avait un passeport au nom de Roublef, négociant à Kherson) se rendit au commencement d’avril, avec la jeune femme russe dont je ne sais pas le nom (voir p. 117), à San Lupo, bourgade de la province de Bénévent, et y loua une maison destinée à servir de dépôt d’armes ; et avis fut donné aux affidés des diverses régions de l’Italie d’avoir à se rendre immédiatement à San Lupo pour s’y équiper. Le 5 avril, la police, trouvant suspectes les allées et venues d’un certain nombre d’inconnus dans la petite bourgade, tenta d’arrêter quelques-uns des internationalistes qui venaient d’y arriver : des coups de fusil furent échangés, et la bande des révolutionnaires, avant d’avoir pu s’organiser complètement, dut s’éloigner et prendre la campagne. Telles sont les circonstances d’où sortit cette invraisemblable expédition, coup de tête juvénile d’une poignée d’intrépides. Nous n’avions pas été tenus au courant de ces choses, on ne nous avait pas communiqué la résolution précipitamment prise, et nous ignorions absolument tout de ce qui venait de se passer.

Je reproduirai, ici et plus loin, dans l’ordre où le Bulletin les publia, les nouvelles, fausses et vraies, ainsi que les appréciations des amis et des ennemis.

On lit ce qui suit dans le Bulletin du 15 avril :

« Il paraît, d’après les journaux, qu’un mouvement socialiste armé a éclaté dans la province de Bénévent (ancien royaume de Naples), au cœur même des Apennins. N’ayant reçu jusqu’à présent de nos correspondants d’Italie aucun renseignement direct, nous ne pouvons que reproduire, sous toutes réserves, les nouvelles données par la presse bourgeoise.

« Les dépêches du 9 courant disaient que c’était à Cerreto, province de Bénévent, que les internationaux armés avaient fait leur apparition, et qu’ils s’étaient divisés en deux bandes. L’une de ces bandes, forte d’une trentaine d’hommes, et commandée par Cafiero, serait entrée le 8 dans le petit bourg de Letino, près de Piedimonte d’Alife, [province de Caserte,] aurait occupé la mairie et mis le feu aux archives. L’Opinione annonçait que cette bande avait été ensuite mise en déroute, et qu’on lui avait fait plusieurs prisonniers, parmi lesquels son chef Cafiero.

« En outre, la police, disait-on, aurait arrêté le 8, à Pontemolle près de Rome, dix-huit internationaux qui paraissaient vouloir se former en bande et tenir la campagne.

« Le lendemain, la nouvelle donnée par l’Opinione, que la bande apparue à Cerreto avait été défaite, était démentie,

» L’Italie annonçait, le 10, que cette bande, après avoir brûlé les archives de Letino, était allée à Gallo, où elle a pillé la caisse du percepteur et brûlé la maison commune ; elle s’est ensuite dirigée sur Capriati ; mais, la population ayant pris les armes pour lui résister, les insurgés se sont retirés.

» Outre Cafiero, disent les dépêches du 10, Malatesta et Ceccarelli font aussi

  1. On m’a raconté que, redoutant des vengeances, il s’était réfugié en Amérique en changeant de nom.