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Mon cher ami, après avoir lu le Mirabeau d’hier, l’idée m’était venue d’écrire à Fluse pour lui dire différentes choses. Mais j’ai réfléchi qu’il valait mieux que ces choses-là ne lui fussent pas dites par moi, et que vous seriez mieux placé pour le faire. Voici, en substance, ce que je voulais lui écrire :

D’abord, féliciter le Mirabeau d’avoir accueilli votre article[1], et exprimer le désir de voir ce journal, mieux rédigé, renoncer à certains collaborateurs, par exemple à ce stupide rodomont de Cluseret, qui s’est si mal conduit à Lyon et à Marseille en 1870. En même temps, demander qui est le collaborateur qui signe Saint-Thèse ; n’est-ce point Sellier sous un nouveau déguisement ?

En second lieu, parler du Congrès spécial que les Flamands, mécontents de ce que la politique n’a pas été rendue obligatoire au Congrès de Gand, vont convoquer[2]. Et j’aurais fait ressortir ceci : On a dit aux Wallons : « L’union avec les Flamands est indispensable ; pour atteindre ce but, il faut faire des concessions » ; — et les Wallons ont fait concessions sur concessions, à ce point que le Mirabeau a entièrement changé de programme et qu’on ne le reconnaît plus. Et maintenant que les Wallons ont tout fait pour arriver à constituer l’Union ouvrière, qu’ils ont même beaucoup trop fait, voilà les Flamands qui ne sont pas encore contents, et qui déclarent vouloir faire bande à part ! Eh bien, qu’on les laisse donc aller ! Est-ce que les Wallons ont besoin des Flamands ? L’union avec les Flamands ne peut que paralyser le mouvement, le fausser, bien loin de lui donner de la vie. D’ailleurs, se figure-t-on que lorsque l’émancipation du travail se réalisera, ce sera dans le cadre de la Belgique politique actuelle, et qu’à cet effet Flamands et Wallons devront marcher d’accord pour tâcher d’avoir une majorité à la Chambre ? Non : l’émancipation sera le résultat d’une révolution partie de Paris ; au signal de cette révolution se lèveront les peuples et fragments de peuple qui ont le feu révolutionnaire : la Suisse française, la Belgique française ; quant aux Flamands, ils feront comme les Suisses allemands[3] ; ils nous regarderont tranquillement nous battre.

Qu’on cesse donc de prêcher aux ouvriers belges l’union entre Wallons et Flamands comme l’unique moyen de salut. Sans doute, cette union sera bonne, si elle peut se faire sans que le parti révolutionnaire soit obligé de sacrifier son programme, et si elle a pour résultat de faire progresser les Flamands ; mais il ne faut pas crier : Union à tout prix ! La lettre de Louis Bertrand, dans le Mirabeau d’hier, montre qu’il y a des gens qui sont telle-

  1. Il est question de cet article dans une lettre de moi à Kropotkine, du 14 avril, où je lui disais : « J’avais bien envie de garder votre article pour le Bulletin, car vraiment je le trouve excellent. Mais comme il faut pourtant essayer une fois d’envoyer quelque chose au Mirabeau, je fais le sacrifice de vous le rendre dans ce but, j’en ai arrangé quelques phrases, et je crois qu’il sera nécessaire que vous le copiiez encore une fois, sans cela jamais on ne s’en tirera à Verviers. Si vous l’envoyez tout de suite, il pourrait déjà paraître dans le numéro du 25 courant. » (L’article ne parut que dans le numéro du 29.)
  2. À Malines.
  3. Ce jugement sur les Suisses allemands ne serait plus exact aujourd’hui : une grande partie des ouvriers de la Suisse allemande sont désormais acquis au syndicalisme révolutionnaire. Et, d’autre part, une partie de la classe ouvrière de la Suisse française se laisse encore aveuglément conduire par des politiciens parlementaires.