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sifflets partant d’un groupe hostile installé sous une galerie. Vers six heures l’assemblée fut close, et une réunion familière des socialistes fut annoncée pour huit heures dans le même local.

Parmi les discours prononcés au meeting, nous devons mentionner celui du citoyen Karl Moor, qui parla au nom de l’Arbeiterbund de Berne. Il dit que l’Arbeiterbund, bien que se séparant de l’Internationale sur beaucoup de points théoriques et pratiques, croyait cependant, en présence de ce qui s’était passé, devoir protester aussi contre la conduite de la police de Berne.

Faisons remarquer que l’Arbeiterbund avait été invité, par les Sections internationales de Berne, à participer à la manifestation, et à fêter en commun avec nous le 18 mars, et qu’il s’y était refusé. Bien mieux, il avait organisé une contre-manifestation, c’est-à-dire une réunion publique, le soir, sans cortège, dans un autre local, — contre-manifestation qui du reste a passé inaperçue, toute l’attention s’étant concentrée sur l’Internationale. Dans un appel publié à cet effet la veille, le Comité bernois de l’Arbeiterbund s’exprimait ainsi, en faisant allusion à la manifestation projetée par l’Internationale :

« Nous voulons, répudiant toute manifestation inutile, tout charlatanisme et toute recherche de l’effet, nous réunir ce jour-là comme les membres d’une même famille, pour nous entretenir de nouveau des tendances élevées de la démocratie socialiste. (Wir wollen, ferne von allen unnöthigen Demonstrationen, ferne von aller Marktschreierei und Effekthascherei, uns, etc). »

Et cependant, — qu’on note ce détail, — les hommes qui ont les premiers promené le drapeau rouge dans les rues de Berne, au 18 mars de l’an dernier, étaient des membres de l’Arbeiterbund ; les internationaux, sauf deux ou trois, n’étaient pas là, ils avaient leur réunion à Lausanne. Ces hommes de l’Arbeiterbund avaient promis solennellement de relever à Berne le drapeau rouge l’année suivante ; l’un d’eux, le citoyen Lustenberger, avait dit : « Nous montrerons le rouge au taureau jusqu’à ce qu’il s’y soit habitué ». Mais au dernier moment, quand il fallut agir, on ne se souvint plus de ses déclarations ; on préféra qualifier dédaigneusement de Marktschreierei (charlatanisme) et d’Effekthascherei (recherche de l’effet) une manifestation dont on avait soi-même donné l’exemple ; et on laissa aux seuls internationaux le périlleux honneur d’arborer le drapeau rouge et de tenir tête à la brutale agression de la police.

Après cela, il est permis de trouver un peu tardive la déclaration de solidarité faite par le citoyen Moor après la bataille[1].

  1. Moor, après avoir lu le Bulletin, se plaignit que nous eussions interprété son langage comme une « déclaration de solidarité », et écrivit à ce sujet à la Tagwacht. Le Bulletin répondit, le 8 avril :
    « Dans le Bulletin du 25 mars, en parlant de la protestation faite par le citoyen Moor, au nom de l’Arbeiterbund, au meeting de la Länggasse, nous l’avions appelée une déclaration de solidarité. L’expression était inexacte, et le citoyen Moor, dans une lettre à la Tagwacht, a eu soin de constater au contraire que, tout en protestant contre la police, il a décliné, pour son compte et celui de ses amis, toute solidarité avec la manifestation des « anarchistes ». Dont acte. »