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ingénieux qu’on appelle représentation nationale, suffrage universel, et législation directe.

Il n’y a donc plus de logique, paraît-il, dans les têtes des hommes qui représentent à Berne l’Arbeiterbund ? Quand on lit leurs raisonnements, quand on voit leurs actes, on arrive à cette conclusion forcée : Ces hommes sont, sciemment ou inconsciemment, les agents du radicalisme bourgeois.


Il reste à parler des préparatifs faits dans la Fédération jurassienne en vue de la célébration de l’anniversaire du 18 mars.

L’année précédente, — indépendamment des réunions locales, — des représentants des diverses sections de la Fédération, ainsi que de nombreux réfugiés de la Commune, s’étaient donné rendez-vous en un point central, à Lausanne, pour commémorer ensemble le mouvement insurrectionnel du peuple parisien. L’idée fut émise de procéder de même en 1877, et les sections de Berne demandèrent que leur ville fût choisie comme siège de la fête commune. Il s’agissait, dans la pensée des internationaux de Berne, d’une manifestation qui serait une revanche : le 18 mars 1876, le cortège organisé par le Sozial-demokratischer Verein avait été attaqué et dispersé, et le drapeau rouge déchiré ; nos amis, les membres des deux sections de l’Internationale à Berne[1], voulaient, en organisant à leur tour un cortège, affirmer le droit, garanti par la constitution bernoise, de déployer le drapeau rouge dans la rue ; et, au cas où ce drapeau serait de nouveau l’objet d’une agression, ils étaient décidés à le défendre de la façon la plus énergique.

Une réunion privée, entre camarades, eut lieu à la Chaux-de-Fonds, dans le courant de février, pour parler de la manifestation projetée. Je m’y trouvai. Brousse y prit la parole : il déclara qu’une semblable démonstration aurait une importance capitale pour l’avenir de l’Internationale dans la ville fédérale ; et il insista pour que, de toutes les sections de la Fédération jurassienne, de nombreuses délégations s’y rendissent. Je fis quelques objections : il me semblait que nos amis de Berne se préoccupaient un peu trop d’une exhibition de parade, et perdaient de vue le but essentiel de la réunion du 18 mars, qui devait être la propagande du principe fédéraliste et communaliste ; je fis observer en outre qu’en provoquant un conflit dans la rue avec les assommeurs à gages de la bourgeoisie bernoise, on s’exposait à aboutir à l’une ou l’autre de deux alternatives également regrettables : ou bien voir de nouveau le drapeau rouge déchiré et le cortège dispersé ; ou bien, si nous devions l’emporter sur nos agresseurs probables, acheter trop cher cette satisfaction d’amour-propre, en risquant de faire couler le sang, et peut-être de sacrifier des vies humaines ; donner sa vie dans une lutte révolutionnaire, disais-je, cela peut être, à un certain moment, un devoir inéluctable ; mais il serait désastreux que, pour une simple manifestation, il y eût mort d’homme. Brousse revint à la charge : il était bruyant (uproarious, comme l’a écrit Kropotkine en crayonnant son portrait), il avait l’oreille des plus jeunes et des plus exaltés ; sa verve méridionale l’emporta. Voyant que j’étais seul de mon avis, je n’insistai pas, et déclarai que je m’inclinais devant la volonté générale.

Il fut ensuite convenu entre nous que l’initiative, pour la proposition d’une réunion commune, ne partirait pas de Berne, et que ce seraient nos camarades du Val de Saint-Imier qui la prendraient. À cet effet, le comité de la Fédération ouvrière du district de Courtelary adressa une circulaire aux sections ; la plupart de celles-ci répondirent en annonçant qu’elles acceptaient la proposition : et les sections de Berne furent alors chargées d’organiser la manifestation.

Le Bulletin du 11 mars annonça la fête par l’avis suivant :

  1. La section italienne de Berne avait momentanément cessé d’exister.