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nous sommes obligés, pour achever la composition du journal, de donner autre chose que des actualités. » En effet, les colonnes des numéros des 4 et 11 mars sont occupées en partie par un extrait des Ours de Berne de Bakounine et un extrait de mon travail, écrit en 1873, sur le socialisme de Proudhon[1].

Le Comité central des sections genevoises de l’Arbeiterbund proposa, dans une lettre signée Wilhelm, que publia la Tagwacht, que le Congrès de cette Association, qui devait avoir lieu à la Pentecôte (20 mai), se tînt à Neuchâtel. « Une raison essentielle en faveur de ce choix, — disait la lettre, — c’est que les délégués de la Suisse allemande auront, en allant à Neuchâtel, l’occasion de se convaincre de l’insignifiance d’une association[2] dont les chefs, dit-on, résident précisément dans ce canton. » Le Bulletin répondit : « Nous serons enchantés, pour notre part, que l’Arbeiterbund tienne un Congrès à Neuchâtel... Il sera fort utile que les délégués de la Suisse allemande puissent juger sur place des conditions faites chez nous au socialisme. Nous sommes persuadés qu’une bonne partie de leurs préjugés contre les prétendus bakounistes tomberont dès qu’ils verront ceux-ci de près. »

Un socialiste de la Suisse allemande, animé d’autres sentiments à notre égard que ceux dont faisait profession le citoyen Wilhelm, protesta dans la Tagwacht contre la phrase où celui-ci avait parlé de l’insignifiance de la Fédération jurassienne, et contre « l’esprit querelleur » qui avait inspiré sa lettre. Il montra qu’il était chimérique, de la part de l’Arbeiterbund, d’espérer attirer à lui les ouvriers de la Suisse française, parce que « le grand nombre de ces ouvriers reste jusqu’à présent indifférent, et que le petit nombre de ceux qui ne sont pas indifférents appartiennent à la Fédération jurassienne, organisation qui, bien que tendant au même but que nous, ne peut pas s’accommoder de l’organisation plus centraliste de notre Arbeiterbund ».

On vota, dans les sections de l’Arbeiterbund, sur le choix de la ville, et Neuchâtel obtint la majorité. Chose curieuse, et que fit remarquer le Bulletin (25 février) : les trois sociétés ouvrières de Neuchâtel, toutes trois allemandes (les tailleurs, les cordonniers, et le Bildungsverein), qui prirent part au vote, s’étaient prononcées contre le choix de cette ville.

J’ai parlé (p. 125) d’une phrase que le rédacteur de la Tagwacht avait supprimée dans une lettre de Kachelhofer et de J. Franz, où ces deux citoyens, au nom d’un groupe de membres de l’Arbeiterbund, avaient blâmé l’alliance électorale contractée par les ouvriers « socialistes » de Genève avec les radicaux. Le Bulletin du 28 janvier revint sur la question :


Cette suppression — écrivit-il — avait piqué la curiosité de certains lecteurs : ils se demandaient quel blasphème avaient bien pu écrire les signataires de la lettre, pour que la rédaction de la Tagwacht se fût crue obligée de le remplacer par une ligne de points.

Cette curiosité a été satisfaite. Le Vorwärts de Leipzig a publié la lettre de Kachelhofer et Franz, et il l’a publiée, lui, sans coupure. Le dernier alinéa, celui qui avait été « châtré », contenait cette phrase :

« On pourra, si l’on veut, nous appeler bakounistes ; nous aimerions mieux, s’il n’y avait pas d’autre alternative, mériter réellement cette épithète, plutôt que de continuer plus longtemps à permettre que le mouvement ouvrier suisse soit exploité — consciemment ou inconsciemment — — pour en faire un marche-pied à l’un ou à l’autre des partis bourgeois. »

Voilà donc le pot-aux-roses découvert ! La rédaction de la Tagwacht n’avait pas voulu permettre à des membres de l’Arbeiterbund de déclarer publiquement qu’entre les révolutionnaires de la Fédération jurassienne et

  1. Paru en traduction russe sous le titre de Anarkhia po Proudonou.
  2. La Fédération jurassienne.