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« Cela prouve en tout cas que les têtes travaillent, que l’esprit révolutionnaire vit encore, et que le nouveau courant parlementaire et pacifique n’a pas encore tout entraîné avec lui. »


La lettre suivante de notre correspondant « D. » (Paul Robin) donne une caractéristique intéressante du mouvement ouvrier en Angleterre (Bulletin du 18 février) :

« La grande affaire des Trade Unions, maintenant, c’est l’échange de discours aimables avec un certain nombre de clergymen de l’Église « établie ». Nous verrons d’ici peu, comme preuve de bonne entente, des pasteurs daigner accepter les fonctions de présidents des Unions, et par leur haute autorité morale arriver à étouffer les mauvais germes d’impiété ou d’esprit révolutionnaire qui se sont parfois montrés. Messieurs les unionistes, déjà fort bien élevés pour la plupart, deviendront tout à fait gentlemen. Et ce sera au tour des vrais prolétaires à s’organiser et à démolir ce quatrième état[1] en même temps que les trois autres.

« Du reste, cela n’augmentera pas beaucoup la besogne ; ce quatrième état se dissout, et continuera à se dissoudre encore plus vite. Les meneurs et sous-meneurs entreront encore plus franchement dans la bourgeoisie exploitante. La plèbe, affaiblie par l’annulation de l’ouvrier en présence du perfectionnement des machines, par l’énervement résultant de l’invasion de la prêtraille, ira grossir le nombre des malheureux qui souffrent en silence — ou renforcer le groupe révolutionnaire.

« L’histoire présente des Trade Unions anglaises pourrait bien être l’histoire future de ceux qui les admirent de loin. Le gouvernement belge a toujours su juste à temps donner des preuves de sagacité. L’abaissement spontané du cens en 1848 et bien d’autres choses valurent au roi Léopold Ier le nom de Sage. Que les Flamands grondent un peu fort, on leur fabriquera quelque loi qui restera lettre morte, on leur donnera même le moyen d’avoir un ou deux représentants soi-disant sortis de leurs rangs. La question est de savoir si ces représentants conserveront leurs sentiments révolutionnaires ?

« Le Beehive, journal des Trade Unions, est mort ; mais, comme le phénix, il renaît de ses cendres. Le nouveau ressemble à l’ancien à s’y méprendre : même décence, même cordialité dans les rapports avec Messieurs les patrons, même horreur pour les moyens violents, pour les révolutionnaires. Il n’y a que deux changements : au lieu de Beehive, lisez Industrial Review : au lieu de un penny, lisez (et payez) deux pence. »

Le 4 mars mourut à Londres le cordonnier George Odger, qui avait joué pendant une vingtaine d’années un rôle assez marquant dans le mouvement ouvrier anglais. Lors de la fondation de l’Internationale, il fit partie, avec d’autres politiciens anglais, du Conseil général (sa signature figure au bas des statuts provisoires) ; mais il s’en retira ensuite, après la Commune, ses amis et lui trouvant les théories de l’Internationale « trop avancées ». Son but était d’arriver à se faire élire à la Chambre des communes comme candidat ouvrier : trois fois il affronta les chances du scrutin, trois fois il échoua. Lorsqu’il était encore membre de l’Internationale, il vint au Congrès de la paix à Genève, en 1867, avec son collègue Cremer, comme délégué de la Reform League (voir tome Ier, pages 41, 42, 43, 54).

Le mercredi 10 janvier eurent lieu en Allemagne les élections pour le Reichstag. Au premier tour, neuf socialistes furent élus : à Berlin, Fritzsche et Hasenclever ; en Saxe, Auer (Auerbach-Reichenbach), Bebel (Glauchau-Meerane), Demmler (Leipzig-campagne), Liebknecht (Stollberg-Schneeberg), Most (Chemnitz), Motleler (Zwickau-Crimmitschau) ; dans la principauté de Reuss, bran-

  1. Au Congrès de Lausanne, en 1867, parmi les questions formant l’ordre du jour figurait celle-ci : « Les efforts tentés aujourd’hui par les associations pour l’émancipation du quatrième état (classe ouvrière) ne peuvent-ils pas avoir pour résultat la création d’un cinquième état, dont la situation serait beaucoup plus misérable encore ? » (voir t. Ier, p. 34.)