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légalité comme d’un masque, tandis qu’au fond ils viseraient un but révolutionnaire ; non : ceux-là ne veulent réellement rien de plus que ce qu’ils disent publiquement. Ainsi, par exemple, les orateurs du récent Congrès ouvrier de Paris sont des hommes qui ne songent en aucune façon à quitter une fois le terrain de la légalité ; toutes les mesures qu’ils désirent sont exclusivement des réformes légales. Mais les membres des sections secrètes de l’Internationale française ont un programme différent et se placent sur un autre terrain ; leur activité principale s’exerce en dehors de la légalité, elle a pour but d’organiser les ouvriers pour la révolution. Cela ne les empêche pas d’ailleurs, à côté de cette action secrète, de se mêler publiquement aux organisations pacifiques ; tout en travaillant en secret à leur organisation propre, ils entrent dans tous les groupements publics, et ils y apportent leur propagande socialiste révolutionnaire. »


Dans la séance de l’après-midi, Greulich, représentant du Schweizerischer Arbeiterbund et d’une section internationale de Zürich, et J. Franz, membre du Schweizerischer Arbeiterbund, demandèrent à être admis au Congrès au même titre que l’avaient été la veille Gutsmann et Vahlteich. À l’unanimité, l’admission fut votée.

Les rapports des Fédérations italienne, espagnole, belge et hollandaise furent résumés en langue allemande par Werner, membre du Sozialdemokratischer Verein de Berne.

Vahlteich, membre du Parti socialiste d’Allemagne, prit ensuite la parole : « Je ne suis pas venu ici, dit-il en débutant, comme représentant officiel de la démocratie socialiste allemande ; mais je crois cependant que vous pouvez, sans crainte de vous tromper, regarder ce que j’ai à vous dire comme l’expression du sentiment et des opinions des socialistes allemands à l’égard de l’Internationale ; en effet, leur programme dit que, bien que leur action s’exerce pour le moment dans des limites nationales, ils reconnaissent le caractère international du mouvement ouvrier, et sont résolus à remplir tous les devoirs qu’impose aux ouvriers ce caractère, pour que la fraternité de tous les hommes devienne une vérité. » Il fit ensuite en peu de mots l’histoire du mouvement socialiste en Allemagne, raconta comment s’était opéré le rapprochement entre les lassalliens et la fraction d’Eisenach, et exposa l’organisation et la pratique du parti. Il dit que ce à quoi la démocratie socialiste s’appliquait, c’était « à faire l’éducation du prolétariat jusqu’ici écrasé et opprimé, et à le rendre capable d’exercer le gouvernement ; car il ne s’agit pas seulement de détruire l’État actuel et la forme régnante de la société ; on doit aussi se préoccuper de former, en nombre suffisant, des intelligences capables de donner une organisation durable à l’État socialiste que nous voulons réaliser ». Abordant ensuite la question d’un rapprochement entre l’Internationale et le Parti socialiste d’Allemagne, il s’exprima ainsi :


En ce qui concerne l’attitude de la démocratie socialiste d’Allemagne à l’égard des fédérations socialistes des autres pays, il y a eu quelques attaques dirigées d’Allemagne contre telle ou telle personnalité, attaques qui ont produit une dissonance. Je puis vous assurer que la masse des socialistes allemands est restée indifférente à ces manifestations ; il n’y a chez nous ni marxistes ni dühringiens[1] ; et les lassalliens d’autrefois se sont joints sans arrière-pensée au mouvement général. Il n’existe donc en Allemagne aucune antipathie contre les personnes ou les tendances des socia-

  1. Le Dr  Eugène Dühring, Privat-Docent à l’université de Berlin, avait commencé depuis peu à exposer les bases d’un système socialiste rattaché au système philosophique dont il était l’inventeur, et s’était fait un certain nombre de partisans en Allemagne. Engels allait bientôt l’attaquer dans une série d’articles que publia le Vorwärts en 1877 et 1878.