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toute la Suisse française, le programme du parti radical bourgeois ; si nous voulions nous en occuper, nous renoncerions par là même à notre existence comme parti socialiste indépendant, pour devenir une simple annexe du radicalisme bourgeois. Or, comme notre tâche doit être tout au contraire de séparer les ouvriers de tous les partis politiques bourgeois, qui ne forment à nos yeux qu’une seule masse réactionnaire, et de les amener à se constituer en un parti socialiste du travail, nous avons dû, étant donné notre position spéciale, adopter une tactique spéciale. Cette tactique consiste, pour le moment, à dire aux ouvriers : « Cessez de vous laissez exploiter politiquement par les partis bourgeois, cessez de leur donner vos suffrages et de vous laisser embrigader par leurs agents électoraux ; organisez-vous tout d’abord sur le terrain économique du corps de métier ; sur ce terrain- là, vous vous apercevrez bien vite que le bourgeois qui, au sein du parti radical, vous apparaissait comme un allié et un coreligionnaire, est en réalité votre ennemi ».

Il ne faudrait pas croire que les Jurassiens aient pour la candidature ouvrière, envisagée comme moyen de propagande et d’agitation, l’invincible répugnance qu’on leur prête. Au contraire, ils ne seraient pas éloignés d’en essayer, ne fût-ce que pour démontrer expérimentalement, à ceux qui croient à la possibilité de transformer la société par la voie de simples réformes législatives, qu’ils se font des illusions. Mais la candidature ouvrière socialiste, chez nous, n’est pas pratiquement possible, pour faire élire leurs candidats, les socialistes seraient obligés d’accepter l’alliance des radicaux, et c’est ce que nous ne voulons pas. Du reste, les débats de nos Grands-Conseils cantonaux ont si peu d’intérêt pour la population ouvrière, que la propagande qu’il serait possible d’etîectuer par l’élection de députés socialistes serait presque absolument nulle. En Allemagne, Bebel et Hasselmann, parlant à la tribune du Reichstag, s’adressent au peuple entier et en sont entendus ; dans les petits parlements cantonaux de la Suisse française, la voix des députés socialistes n’aurait pas d’écho au dehors ; pour être entendu des ouvriers, il faut aller les trouver dans les assemblées populaires : c’est là seulement que peut se faire chez nous une propagande efficace.

La Suisse française, quoique unie politiquement à la Suisse allemande, n’est point rattachée à celle-ci par une communauté de sentiments nationaux et d’intérêts économiques. Chez nous, l’impulsion intellectuelle vient de la France ; nos socialistes ont le regard dirigé vers Paris, non vers Berne ou Zürich. Nous sommes les fils de la Révolution française et de la philosophie française du dix-huitième siècle ; et ce sera seulement quand le prolétariat de la France se sera réveillé et aura livré contre sa bourgeoisie une bataille victorieuse et définitive, que chez nous l’émancipation du travail pourra devenir à son tour une réalité.


Pour terminer la séance, Brousse fit un rapport au nom des groupes français représentés par lui et Pindy. Voici le résumé de ce qu’il dit (Compte-rendu) : « Il n’y a pas en France, comme il y a en Allemagne, un parti ouvrier qui, tout en adoptant l’agitation légale comme moyen de propagande, proclame cependant la nécessité d’une révolution sociale. Ceux des ouvriers français qui font de l’action légale ne sont pas des gens qui se couvrent de cette