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Après nous être consultés, nous décidâmes de quitter la localité où nous nous trouvions et de profiter de la nuit pour nous rendre dans un endroit plus sûr. En moins d’une heure, nous étions déjà loin de tout chemin battu, au milieu d’une épaisse forêt. Là, nous nous trouvions en parfaite sécurité, et nous nous y installâmes pour continuer la séance. Comme vous le pensez, personne ne fit de longs discours ; les résolutions furent rédigées sans discussions byzantines et adoptées d’emblée : c’était au moins là un avantage de la persécution dont nous étions l’objet.

Le Congrès fut clôturé le lendemain dimanche 22, après une dernière séance dans une autre forêt ; puis les délégués prirent congé les uns des autres et s’éloignèrent par différents chemins.

Dans une prochaine lettre, je vous enverrai le texte des résolutions votées par le Congrès[1]. Pour le moment, je me bornerai à ajouter que deux délégués furent désignés pour représenter l’Italie au Congrès général de Berne. Grâce aux précautions qu’ils ont prises, nous espérons qu’ils auront pu arriver sans encombre à destination.


Les deux délégués en question étaient Cafiero et Malatesta. Le mardi 24 octobre, ils arrivaient en Suisse, à Bienne ; prévenu par télégramme, j’allai les rejoindre dans cette ville ; ils me narrèrent leur odyssée, et c’est alors que Cafiero rédigea pour le Bulletin la correspondance que je viens de reproduire.

Le lendemain ils se rendirent à Berne, où je les retrouvai le soir, avec les autres délégués venus pour le Congrès général.


Le Bulletin du 22 octobre annonça, sous la rubrique Grèce, que « un certain nombre de socialistes de ce pays envoyaient au Congrès de Berne une Adresse où ils exposaient leurs idées relativement à l’organisation du travail » ; et il ajoutait : « Ils ont chargé de la lecture de ce document le compagnon Andrea Costa, qui réside actuellement en Suisse ». Ces derniers mots étaient une feinte : Costa, qui était ammonito, et qui, malgré cela, venait de quitter Imola pour se rendre furtivement à Florence, avait voulu mettre la police italienne sur une fausse piste et lui faire croire qu’il s’était réfugié sur le territoire helvétique. Vain stratagème et tardif : la police savait fort bien où était allé Costa, et l’avait arrêté dès le 19. Cette arrestation priva le Congrès de Berne de la lecture de l’Adresse des socialistes grecs[2].


De France, le Bulletin publia (n°s 35, 36 et 30) deux lettres écrites, l’une par un détenu politique de la maison centrale de Thouars, l’autre par la veuve d’un détenu mort dans cette prison, lettres donnant des détails « sur le régime odieux auquel les gens de Versailles soumettent nos malheureux amis, coupables d’avoir combattu pour la liberté et l’égalité ». Je voudrais pouvoir en donner des extraits, mais je suis, à mon regret, obligé d’y renoncer.

Le Congrès ouvrier dont il a été question plus haut (p. 48) avait été retardé d’un mois : il s’ouvrit le 2 octobre, dans une salle de la rue d’Arras, à Paris. Un correspondant parisien disait dans le Bulletin (10 septembre) : « L'organisateur du Congrès est Pauliat, un bourgeois qui fait au journal la Tribune, depuis quelques mois, ce que Barberet fait au Rappel depuis cinq ans ; c'est-à-dire qu'en prenant la direction du mouvement socialiste, il s'arrange pour faire piétiner les ouvriers sur place sans avancer d'une semelle, tout en leur

  1. Le Congrès décida entre autres que la Commission de correspondance serait placée à Naples, et la composa de Cafiero, de Grassi, et de Francesco Pezzi (de Bologne).
  2. Il y en eut une autre, envoyée directement au Congrès par la Société démocratique de Patras.