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la violence des accusations réciproques, ne proviennent-elles pas plutôt de malheureuses animosités personnelles, que de dissidence dans les doctrines ? Sans doute il y a, entre ce qu’on a coutume d’appeler l’école autoritaire et l’école anarchiste, des différences très accentuées et incontestables ; mais ne peut-on pas les expliquer autrement que par une inconciliable opposition de principes absolus ? Il nous semble que ces différences perdraient beaucoup de leur gravité, paraîtraient bien moins redoutables pour l’avenir, si nous pouvions arriver à considérer le socialisme autoritaire et le socialisme anarchiste, non pas comme deux frères ennemis, mais comme deux phases successives de l’idée socialiste.

Cette idée vaut la peine qu’on l’examine de plus près, et le récent programme des ouvriers allemands nous aidera à la vérifier.

Que demandent aujourd’hui les socialistes d’Allemagne ?

Voici le résumé de leurs principales revendications :

Le suffrage universel ; — la législation directe par le peuple ; — le remplacement des armées permanentes par des milices ; — le droit de réunion et d’association ; — une organisation populaire des tribunaux et la justice gratuite ; — la liberté de conscience ; — l’instruction gratuite et obligatoire ; — l’impôt progressif.

Faites de ces divers points un ensemble d’institutions, un corps de lois, et savez-vous ce que vous aurez ?

Vous aurez la constitution jacobine de 1793.

Le peuple allemand demande en 1875 ce que le peuple français a déjà réalisé en 1793.

Il y a néanmoins, dans le programme allemand, quelque chose de plus ; et il fallait s’y attendre. En effet, depuis la fin du dix-huitième siècle, l’organisation de l’industrie a changé, une situation économique nouvelle s’est produite, et les jacobins allemands de 1875, lors même qu’en politique ils restent au niveau des jacobins français de 1793, doivent, en économie sociale, avoir subi l’influence du milieu nouveau qui s’est créé de nos jours par l’antagonisme du prolétariat et de la bourgeoisie. En 1793, cet antagonisme n’était encore qu’en germe, et les jacobins d’alors n’en éprouvaient pas les effets ; aussi n’est-il pas encore question, pour eux, de mesures protectrices du travail ; ils se sont bornés à déclarer que « la société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’existence à ceux qui sont hors d’état de travailler » (Déclaration des droits de l’homme de 1793, art. 21). Au contraire, les jacobins allemands, vivant à l’époque des luttes pour le salaire, du remplacement toujours plus général du travail aux pièces par le travail à la journée, de l’extension toujours plus considérable du système de grande industrie, ont dû, à côté de leur programme politique, donner une place aux questions économiques ; aussi réclament-ils la journée normale de travail, l’interdiction du travail des enfants, la limitation du travail des femmes, la surveillance de l’État sur les fabriques, l’appui financier de l’État accordé aux associations coopératives, etc. Mais, on le remarquera, ces dispositions économiques portent tout à fait l’empreinte de