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toutes ces bourgeoisailleries : demain comme hier nous travaillerons onze heures pour gagner 3 fr. 50 ». Certes, si cet ouvrier n’est pas de l’Internationale, il en sera bientôt. L’Internationale, d’ailleurs, fait dans la ville fédérale des progrès de plus en plus rapides. Voici le document qui circulait ces jours-ci dans les ateliers par les soins de la Section de Berne : « Travailleurs, quelle est notre situation ? La pire qu’on puisse imaginer… À qui faut-il faire remonter la faute de tout cela ? À nous, ayons le courage de le dire… Que faut il pour que cet état de choses cesse ? Nous grouper. Groupons-nous en corps de métiers, et bientôt nous serons maîtres du taux des salaires… Quelques-uns de nos camarades ont compris et ils se sont groupés ; ils vous appellent tous… Répondez à leur appel. » Notre section s’est donné une organisation nouvelle : autant que possible, un groupe sera constitué dans chaque quartier de la ville (Mattenhof, Langgasse, Lorraine, Lollingen, etc.) ; chaque groupe nomme trois délégués, un aux finances, un au secrétariat, un à l’organisation, qui forment son bureau ; la Section de Berne se compose de l’ensemble de tous les groupes de quartier ; les délégués aux finances de tous les groupes s’unissent pour former la commission des finances ; les délégués à l’organisation constituent la commission de propagande ; la commission du secrétariat se constitue de la même façon. » (20 juin.)

Comme on l’a vu, l’entente s’établissait, dans certaines localités, entre les membres de l’Internationale et ceux de l’Arbeiterbund et du Grïitli ; ailleurs, il y avait incompatibilité d’humeur, et même on constatait l’hostilité, non seulement des membres de ces deux dernières sociétés envers l’Internationale, mais des membres du Grütli envers l’Arbeiterbund, pourtant bien peu avancé. C’est ainsi que la section du Grütli de Saint-Imier publia, en mars 1875, une déclaration disant que si la Société du Grütli adhérait à l’Arbeiterbund, « elle perdrait son caractère national, et que les excellents rapports entre maîtres et ouvriers en seraient troublés… nous voulons rester une école d’hommes libres (eine freie Männerschule) ». Le Bulletin (21 mars), en reproduisant cette déclaration, la commenta ainsi :


Joli, n’est-ce pas ? Voilà, pris sur le vif, le langage et les principes de nos radicaux, de ces libres citoyens de la libre Helvétie, qui ne veulent pas s’occuper de la question sociale de peur de troubler les excellents rapports entre maîtres et ouvriers ! Heureusement que, à Saint-Imier du moins, ces gens-là n’ont avec eux qu’une infime minorité d’ouvriers, et que toute la population ouvrière appartenant à l’horlogerie marche avec la Fédération ouvrière du Vallon. Quant à l’Arbeiterbund, il faut qu’il s’y résigne : il n’y a pas de place pour lui dans nos montagnes ; les Grutléens en ont peur, ils le trouvent trop avancé ; et nos fédérations ouvrières n’en veulent pas, parce qu’elles le trouvent trop arriéré et trop en contradiction avec les instincts fédéralistes de nos populations de langue française.


Il faut noter, toutefois, que le conflit entre les deux courants, dans le Grütli, se termina par une victoire de l’élément le plus avancé : 2247 voix seulement se prononcèrent en faveur du Comité central, tandis que 2393 voix donnaient raison à la rédaction du Grütlianer ; mais, comme on le voit, la majorité était bien faible.

Les 15, 16 et 17 mai le Congrès annuel de l’Arbeiterbund se réunit à Bâle. À part un rapport du député zuricois Morf, sur le projet de loi sur les fabriques, on n’y parla guère que de questions administratives. Le Comité central, qui avait siégé deux ans de suite à Genève, fut placé à Winterthour ; et il fut décidé que le Congrès n’aurait plus lieu que tous les deux ans.

Le gouvernement suisse venait d’achever l’élaboration d’un projet de loi fédérale sur les fabriques. Il le soumit à l’examen d’une commission de onze experts, où siégeaient, à côté de plusieurs notabilités politiques comme Vigier, Klein, Sulzer, de fabricants, etc., un socialiste zuricois, Morf ; un hygiéniste,