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ils durent accepter une baisse de quinze pour cent, après quoi les patrons consentirent à leur permettre de reprendre le travail.

Au commencement de mai, pendant une grève d"ébénistes à Londres, cinq ouvriers, coupables de picketing, c’est-à-dire d’avoir stationné dans la rue et parlé à des camarades pour chercher à les persuader de se joindre à la grève, furent condamnés à un mois d’emprisonnement. L’affaire fit du bruit, et, quand les cinq ouvriers sortirent de prison (2 juin), ils furent l’objet d’une chaleureuse démonstration : un meeting de cinquante mille personnes, tenu à Hyde Park, protesta contre cette application d’une « loi de classe ».


Une lettre écrite de Boston par Lucien Pilet (Bulletin du 14 février 1875) signalait l’introduction, dans une fabrique d’horlogerie fondée à San Francisco, de cinq cents Chinois travaillant à des prix très bas ; les ouvriers horlogers recrutés par le directeur dans diverses fabriques des États-Unis, s’étant refusés à enseigner le métier à ces Chinois, furent immédiatement congédiés. La lettre donnait des détails sur le chômage dont continuait à souffrir l’industrie américaine, en expliquant que ce chômage venait non-seulement de ce que la production dépassait la consommation, mais de ce que les machines étaient arrivées à un tel degré de perfection, que les ouvriers qualifiés avaient pu être remplacés par de simples manœuvres. Le Bulletin fit suivre cette lettre des réflexions que voici : « Une des causes de la crise industrielle qui sévit aux États-Unis, c’est, comme on vient de le lire, qu’il y a plus de production que de consommation ! Quelle amère critique, quelle condamnation terrible de l’organisation bourgeoise dans ces simples mots ! Ne semble-t-il pas que si le travail national produit beaucoup, s’il produit au delà des besoins, le pays doit se trouver riche ? Eh bien, avec le système de production capitaliste, c’est tout le contraire qui arrive : l’abondance des produits n’est pas une richesse, elle engendre la misère pour les producteurs... Le remplacement des travailleurs américains par des Chinois qui se contentent d’une rétribution minime parce qu’ils vivent de peu, et la baisse générale des salaires qui en résulte, confirme ce que nous avons dit souvent : si la population ouvrière arrivait à pouvoir s’entretenir à meilleur marché (par la coopération), les salaires baisseraient d’autant... Ce n’est pas en déclarant la guerre aux travailleurs chinois que les ouvriers d’Amérique s’affranchiront de la concurrence ruineuse qui leur est faite par ceux-ci : c’est en formant avec eux une alliance contre les exploiteurs. Élisée Reclus l’a dit dans son étude sur les Chinois et l’Internationale (Almanach du peuple pour 1874) : « La communauté des intérêts, nous l’espérons, fera naître la communauté d’action. Les travailleurs chinois, qui savent si bien pratiquer entre eux la solidarité, comprendront que leur intérêt est de la pratiquer également avec les travailleurs d’Amérique, lorsque ceux-ci se présenteront en amis et demanderont à conclure le traité d’alliance. »

Une autre lettre de Pilet (Bulletin du 21 mars) annonçait que le directeur de la fabrique d’horlogerie de San Francisco avait résolu d’envoyer des agents en Suisse pour y enrôler des ouvriers, qui auraient à venir enseigner le métier aux Chinois récemment embauchés ; et notre camarade priait les ouvriers horlogers suisses « de ne pas s’associer à une manœuvre qui avait pour but d’avilir encore les prix déjà si bas de la main d’œuvre » ; il ajoutait : « Pendant qu’il en est temps encore, ouvriers horlogers de Suisse et d’Amérique, ouvrons les yeux ; nos intérêts sont solidaires, unissons-nous pour les défendre contre l’exploitation bourgeoise ».

L’Angleterre, on l’a vu, avait un Conspiracy Act qui défendait aux ouvriers les coalitions : à la législature de l’État de New York fut présentée, en mars 1875, une loi qui punissait comme « conspiration » le fait de se concerter pour refuser de travailler, et qui devait détruire les sociétés de résistance et empêcher les grèves. Il y eut le 10 mars, à New York, un grand meeting pour protester contre ce bill ; « plus de cinq mille travailleurs de tout métier et de toute nationalité semblaient ne faire qu’un pour exprimer leur indignation » ; le citoyen J. T. Elliot, de l’internationale, y rappela le souvenir de la manifestation de Tompkins Square (13 janvier 1874), et dit : « Je désire