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résumer brièvement nos objections sur ce point. Nous les avons déjà exposées souvent dans les meetings et dans la presse socialiste ; mais il est des choses qu’on ne saurait trop répéter.

Notre opinion est que c’est aux ouvriers eux-mêmes à limiter la durée de la journée de travail. Si les ouvriers le veulent sérieusement, ils peuvent, par la seule puissance de leur organisation en sociétés de résistance, forcer la main aux patrons sur ce point, sans avoir besoin de l’appui d’aucune loi de l’État. Et, au contraire, si les ouvriers ne sont pas organisés de manière à pouvoir imposer leur volonté aux patrons, ils auront beau invoquer le texte d’une loi que leur aurait octroyée le pouvoir législatif : cette loi sera constamment éludée et restera à l’état de lettre morte, parce que les ouvriers ne seront pas assez forts pour contraindre la bourgeoisie à l’exécuter.

Précisons les choses.

Plaçons-nous d’abord dans la seconde hypothèse. Les ouvriers, au lieu de comprendre que l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, attendent leur salut de l’État. Ils négligent ce qui, à nos yeux, devrait être leur préoccupation constante, la pensée unique de leurs jours et de leurs nuits : la création et la fédération des sociétés de métiers, destinées à faire la guerre au capital. Ils concentrent toute leur activité sur ce point : chercher à faire passer quelques-uns des leurs dans l’autorité législative ; et, en même temps, conclure, avec celui des partis bourgeois qui se dira le plus avancé, une alliance politique dont les conditions seraient quelques améliorations apportées, sur le papier, à la situation légale du travailleur.

Qu’arrive-t-il alors?

Les ouvriers, ne s’étant pas constitués en un corps à part, ayant son organisation et sa vie propre, ne forment pas une puissance indépendante ; ils ne sont pas ce qu’ils doivent être : le monde du travail, en lutte avec le monde du privilège (et par le monde du privilège, nous entendons la bourgeoisie de toutes nuances, y compris les radicaux les plus rouges). Ils n’ont d’autre organisation, ces salariés encore inconscients, que celle qu’ils reçoivent de leurs meneurs politiques pour les besoins de la lutte électorale : organisation factice, étrangère aux réalités du travail. Entre les mains de leurs chefs, qui se servent d’eux comme de bétail à voter, Stimmvich, selon l’expression énergique des Allemands, ils sont une arme puissante, que les politiciens savent manier pour arriver à leurs fins ; mais, incapables d’agir par eux-mêmes, ces ouvriers sont hors d’état de faire prévaloir leur volonté propre. Ils s’apercevront souvent que leurs chefs les dupent ; ils se fâcheront, ils crieront ; mais que faire après tout ? Il faut bien se résigner. Tout au plus se vengera-t-on du charlatan en cessant de voter pour lui, et en reportant sa voix sur un autre charlatan qui ne s’est pas encore démasqué et qui a mieux su conserver sa popularité.

Dans une semblable situation, les ouvriers n’obtiendront d’autres concessions que celles que la bourgeoisie voudra bien leur faire. La bourgeoisie restera seule juge du plus ou moins d’étendue qu’elle donnera à ces concessions, du plus ou moins de bonne foi qu’elle mettra à remplir