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voir p. 188] et celui de la Commission fédérale sortante, documents qui ont été approuvés par la majorité des fédérations locales. »


Presque tous nos amis d’Italie se trouvaient en prison, et la propagande et l’organisation, dans ce pays, ne pouvaient plus se faire que d’une manière clandestine : car tous ceux qui osaient parler publiquement de l’Internationale étaient aussitôt frappés d’ammonizione. Pour avoir des nouvelles, nous nous adressâmes à Cafiero ; il promit de m’envoyer de la Baronata, où il menait maintenant la vie solitaire d’un véritable ascète, une lettre hebdomadaire, que je devais traduire et publier dans le Bulletin. Sa première lettre parut dans le numéro du 11 octobre 1874[1]. Ses correspondances, continuées presque sans interruption pendant un an et demi, contiennent des nouvelles de nos amis arrêtés, une chronique des persécutions gouvernementales, des récits relatifs à la misère des prolétaires italiens, et parfois quelques considérations de politique générale. À propos de Malatesta, transféré d’Ancône, où il avait d’abord été incarcéré, dans la prison de Trani, Cafiero écrit : « Pendant que les bandes insurgées se trouvaient en campagne, les journaux bourgeois annonçaient à grand bruit, entre autres mensonges, que les paysans avaient aidé la force armée à donner la chasse à la bande de Castel del Monte, en Pouille. Eh bien, tout au contraire, je vous affirme que, lorsque cette bande dut se dissoudre, les paysans, qui, les jours précédents, lui avaient porté secours par tous les moyens possibles, pleuraient à chaudes larmes en voyant les insurgés s’éloigner. Je puis vous garantir la parfaite exactitude de ce détail. À cette époque, la police a infligé la bastonnade, le jeûne forcé, et d’autres tortures encore plus cruelles, à un grand nombre de personnes, dont elle espérait pouvoir tirer quelques renseignements sur les insurgés. » Il annonce que, le 1er novembre, « la police a enfin réussi à mettre la main sur le chef de l’Internationale à Florence, Francesco Natta : c’est la soixante et unième personne arrêtée à Florence sous la prévention d’affiliation à l’Internationale et de conspiration contre l’État ». Il signale un projet du gouvernement italien : « On parle beaucoup des lois exceptionnelles dont nos maîtres se proposent de nous gratifier prochainement : on aurait le droit d’envoyer à domicilio coatto (c’est-à-dire de déporter) sans qu’il soit besoin d’une ammonizione préalable : et ce droit serait placé entre les mains non des tribunaux, mais de la police ; de plus, on instituerait un certain nombre de commandants militaires, munis de pleins pouvoirs, et dont chacun aurait à administrer une ou plusieurs provinces. Tant mieux : quand la corde sera tendue à ce point, il faudra bien qu’elle casse. Du reste, le gouvernement n’a pas besoin de lois exceptionnelles pour faire de la répression ; c’est là une pure hypocrisie. Le nombre des personnes ayant reçu l’ammonizione est actuellement de 152.888, et celui des personnes condamnées à la surveillance spéciale de la police de 22.000 ! »

À la fin de novembre eurent lieu les élections pour le renouvellement de la Chambre des députés : la droite compta 284 membres, la gauche 216, parmi lesquels Garibaldi, élu à Rome, et le mazzinien Saffi, élu à Rimini. « Croit-on que la présence au Parlement de ces deux coryphées du républicanisme bourgeois va changer tant soit peu la tournure des affaires ? Ah bien oui ! on bavardera comme par le passé, on fera et défera des ministères, on votera de gros budgets, et le peuple continuera à crever de faim, — jusqu’à ce qu’il se décide à mettre à la porte tous ces farceurs. » (Bulletin du 6 décembre 1874.)

Cafiero, la dernière fois que nous nous étions rencontrés à Neuchâtel, m’avait demandé d’écrire un résumé populaire des idées socialistes révolutionnaires qui pût servir à la propagande en Italie. Je me mis à l’œuvre, et au bout de quelques semaines je lui envoyai mon manuscrit. Il le traduisit en italien, et je sais que sa traduction circula dans les groupes ; mais je ne crois pas qu’elle ait été imprimée. Il me restitua mon essai quand il l’eut traduit ; c’est

  1. Les lettres de Cafiero au Bulletin sont signées de l’initiale « G. », première lettre du mot Gregorio, l’un des noms de guerre par lesquels ses amis le désignaient entre eux.