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et, pour pouvoir le faire en toute tranquillité, aussitôt que j’aurai reçu la réponse d’Antonie à ma grande lettre que je t’ai envoyée de Fribourg, le 29 août je pense, avec prière de la lui faire parvenir, et aussitôt que j’aurai reçu des effets qu’on m’a envoyés de Locarno, — je partirai pour Berne, où, par l’entremise de mon ami Adolphe Vogt, je me mettrai de nouveau en rapport avec M. Schenk[1] et autres grandes autorités fédérales, et, maintenant que c’est pour tout de bon que j’aurai renoncé à toute agitation révolutionnaire, je pense qu’il ne me sera pas difficile d’en obtenir toutes les garanties de ma tranquillité à venir. »

Bakounine resta à Sierre jusqu’au 23 septembre. Son journal[2] nous le montre continuant à correspondre avec Ross (bien qu’il eût écrit, le 3 septembre : « Tout est fini entre nous ») ; le 9 septembre, il note une lettre de Ross, « bonne, et, à ce qu’il semble, décisive » ; le vendredi 11, il a à Saint-Maurice une entrevue avec Ross, venu de Genève à sa demande, et il note : « Passé toute la journée avec Ross ; entente complète ». Le 15, à la suite de lettres reçues le 12 au soir de Mme Antonia et de sa sœur, il écrit à Ross pour lui proposer une nouvelle entrevue[3] qui aurait lieu à Neuchâtel ou dans les environs, et à laquelle, outre Bakounine et Ross, auraient assisté Cafiero et moi ; et en même temps il télégraphie à Cafiero dans le même sens. Ross répond, dès le lendemain, qu’il accepte la rencontre ; Cafiero accepte également, et annonce qu’il partira le 21 de Locarno pour Neuchâtel. Par contre, avec sa femme et sa belle-sœur, qui, ainsi que je l’ai dit, se trouvaient à Lugano depuis le commencement de septembre, Bakounine éprouvait des difficultés à s’entendre. La réponse d’ Antonia à la « grande lettre envoyée de Fribourg » arriva le 5 septembre, et Bakounine note : « Tristes lettres d’Antonie et de Sophie ; mais charmante lettre de Gambuzzi ». Le soir même il écrit aux deux sœurs, et de la réponse qu’il recevra va dépendre sa destinée ; c’est là, dit le journal, la « crise définitive ». Le 7, il se demande : « Que ferai-je, où serai-je et que voudrai-je dans dix jours, jeudi le 17 ? » et, comme les heures lui paraissent longues et qu’il veut chercher à les abréger, il commence, le même jour, la lecture d’un roman anglais. « Eté à la gare acheter un roman intitulé : Je me tuerai demain. — Mardi 8. J’ai lu un roman anglais, traduit en français… — Mercredi 9. Continué à lire roman anglais » ; et il poursuit sa lecture jusqu’au 13. Le 12, la réponse anxieusement attendue arrive, et elle n’est pas ce qu’il espérait : « Lettres étranges, pas franches, d’Antonie et de Sophie », Mme Lossowska refusait de signer la lettre de change.

Une lettre écrite quelques jours plus tard (le 21) par Emilio Bellerio à Mme Antonia jette un peu de clarté sur ce qui s’était passé. Bellerio dit que la lettre que Mme Bakounine lui a écrite le 14 l’a inquiété : car il avait cru « qu’elle et sa sœur s’étaient entendues complètement avec Michel », et il a appris par cette lettre qu’il n’en est rien. En outre, ajoute Bellerio, Ross, qui est retourné auprès de Bakounine, a écrit à Cafiero que Mme Lossowska refuse de signer la lettre de change, et que « vous-même vous deviez avoir montré fort peu de bonne volonté de vous réunir à votre mari » ; et Bellerio en est affligé, car il savait que « Michel avait un grand désir de se réunir à sa famille » ; il craint que l’attitude de Mme Antonia ne pousse Bakounine à se rapprocher de Cafiero, et il regrette « de le savoir en rapports assidus avec M. Ross, qui est sans doute fort estimable, mais avec qui Michel devrait rompre toute liaison, s’il pense à conserver sa dignité ».

Du 13 au 17, Bakounine écrit une « grande lettre à Antonie », qu’il expédie

  1. Membre du Conseil fédéral suisse.
  2. Lorsqu’il écrivit sa biographie de Bakounine, Nettlau ne connaissait de ce journal qu’un fragment allant du 13 juillet au 6 septembre 1874 ; le reste du journal, allant du 7 septembre au 13 octobre suivant, s’est retrouvé depuis, et j’en ai une copie entre les mains.
  3. Cette entrevue était nécessitée par l’attitude de Mme Lossowska, qui venait, comme on le verra, de refuser de signer la lettre de change pour le prêt qu’avait consenti Cafiero.