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rationnelle qu’une organisation qui repose sur un groupement territorial, arbitrairement limité. Mais en sera-t-il toujours ainsi ? Le groupement corporatif aura-t-il toujours l’importance qu’il a aujourd’hui et qu’il aura longtemps encore ?

… L’instruction intégrale, la division du travail et le machinisme semblent devoir concourir à créer un jour une situation où le travailleur ne serait plus parqué pour toute sa vie dans une ou deux professions, mais où il pourrait concourir simultanément ou successivement à une foule de métiers. Or, si pareil état de choses arrive à exister un jour, n’est-il pas évident que la classification des travailleurs en industries distinctes, et par suite le groupement des hommes en corps de métiers, disparaît ? et que la fédération communale, régionale ou internationale, basée sur cette séparation des industries, perd complètement sa grande importance et sa haute signification actuelles ? N’est-il pas évident que ce groupement corporatif, devant cesser un jour d’être conforme aux nécessités sociales, ne peut dès lors être considéré lui-même que comme une forme transitoire, et non comme la forme normale et définitive du groupement social de l’avenir ?


Le rapport de De Paepe conclut ainsi :


À la conception jacobine de l’État omnipotent et de la Commune subalternisée, nous opposons la conception de la Commune émancipée, nommant elle-même tous ses administrateurs sans exception, faisant elle-même la législation, la justice et la police. À la conception libérale de l’État gendarme, nous opposons l’État désarmé[1], mais chargé d’instruire la jeunesse et de centraliser les travaux d’ensemble. La Commune devient essentiellement l’organe des fonctions politiques ou que l’on a appelées telles : la loi, la justice, la sécurité, la garantie des contrats, la protection des incapables, la vie civile ; mais elle est en même temps l’organe de tous les services publics locaux. L’État devient essentiellement l’organe de l’unité scientifique et des grands travaux d’ensemble nécessaires à la société.

Décentralisation politique et centralisation économique[2], telle est, nous semble-t-il, la situation à laquelle aboutit cette conception nouvelle du double rôle de la Commune et de l’État, conception basée sur l’examen

  1. Dans un passage antérieur, le rapport a défini cet État nouveau : « La Fédération nationale ou régionale des communes »
  2. À rapprocher de ce passage de Bakounine, dans Les Ours de Berne et l’Ours de Saint-Pétersbourg : « Tous les progrès accomplis depuis 1848 en Suisse sont des progrès de l’ordre économique, comme l’unification des monnaies, poids et mesures, les grands travaux publics, les traités de commerce, etc. On dira que la centralisation économique ne peut être obtenue que par la centralisation politique, que l’une implique l’autre, qu’elles sont nécessaires et bienfaisantes toutes les deux au même degré. Pas du tout. La centralisation économique, condition essentielle de la civilisation, crée la liberté ; mais la centralisation politique la tue, en détruisant au profit des gouvernants la vie propre et l’action spontanée des populations. La concentration des pouvoirs politiques ne peut produire que l’esclavage, car liberté et pouvoir s’excluent d’une manière absolue. Tout gouvernement, même le plus démocratique, est un ennemi naturel de la liberté, et plus il est concentré et fort, plus il devient oppressif. Ce sont d’ailleurs des vérités si simples, si claires, qu’on a presque honte de les répéter. » (Œuvres, t. II, p. 34.)