Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plupart des sections de la Fédération jurassienne. À Neuchâtel, la Section organisa une soirée familière à laquelle prirent part de nombreux ouvriers de langue allemande ; cette soirée eut lieu au cercle de la Société du Grütli, dont les membres s’étaient joints pour cette occasion à ceux de l’Internationale. La réunion fut présidée par l’ouvrier mécanicien Louis Jenny, qui, dans un discours en français et en allemand, rappela la signification du 18 mars ; puis la Société du Grütli chanta un chœur de circonstance ; ensuite, le vieux doyen de la Commune de Paris, Charles Beslay, alors dans sa soixante-dix-neuvième année, donna lectiure de la circulaire par laquelle Hasenclever avait invité les travailleurs d’Allemagne à fêter le 18 mars ; Beslay but à la fraternité des peuples, et proposa l’envoi d’un télégramme de sympathie à Hasenclever, ce qui fut fait à l’instant ; à mon tour, je mis en relief, comme preuve du progrès réalisé dans les idées depuis 1871, le fait que la Société du Grütli avait mis son local à la disposition de l’Internationale, et que plusieurs sociétés ouvrières s’étaient fait représenter à la réunion ; et j’exprimai l’espoir que la création définitive d’une fédération entre les sociétés ouvrières de Neuchâtel serait bientôt un fait accompli[1] ; enfin, plusieurs ouvriers allemands, Brunnhofer, Lutz, et d’autres, se déclarèrent, au nom de leurs camarades, solidaires de la Commune de Paris, dont la cause était celle de l’humanité tout entière, et burent à l’union des travailleurs allemands avec les travailleurs français. Notons qu’à la Chaux-de-Fonds, le banquet qui avait été organisé ne put avoir lieu, le propriétaire de la salle ayant, au dernier moment, sous la pression exercée par nos adversaires, refusé son local.

Les politiciens essayaient, comme toujours, de pécher en eau trouble. C’était le moment où, dans le Jura bernois, les meneurs radicaux avaient organisé un mouvement contre l’ultramontanisme, non pour combattre le catholicisme en tant que religion, mais simplement pour remplacer, dans la partie catholique du Jura, les curés ultraniontains par des curés dits « libéraux ». Les ouvriers restèrent en général indifférents à cette campagne ; le Bulletin les avait mis en garde ; il disait (22 mars) :


D’une part, le « libéralisme » de certains pasteurs protestants est chose si équivoque et si peu libérale en réalité, que le sermon d’un orthodoxe peut être pris pour un sermon libéral[2] ; d’autre part, les curés « libéraux » jurassiens affirment solennellement que la doctrine qu’ils enseignent, c’est la vieille doctrine romaine dans son orthodoxie la plus authentique[3], c’est-à-dire ce même ramas de niaiseries et de turpitudes que les journaux radicaux dénonçaient jadis avec tant de véhémence à l’indignation publique. Et voilà ce que les radicaux suisses osent présenter au peuple comme le progrès religieux ! Désertant leurs traditions de parti, reniant cette grande philosophie du dix-huitième siècle qui a fait la Révolution française, proclamé les droits de l’homme et émancipé la bourgeoisie, ils donnent la main aux cafards dont ils ont, les premiers, appris au peuple à se moquer ; c’est par leurs conseils et avec leur appui que

  1. Moins d’un mois après, les menuisiers de Neuchâtel se mettaient en grève, réclamant la journée de dix heures, et le tarif de 40 centimes à l’heure ; au bout d’une semaine, ils obtenaient gain de cause ; les ouvriers métallurgistes, de leur côté, se constituaient en société de résistance.
  2. Je faisais allusion à une plaisante méprise, dans laquelle était tombé un pasteur orthodoxe d’une ville protestante de la Suisse, et qui avait été racontée par le journal la Renaissance.
  3. Un négociant « libéral » de Delémont avait, par la voie de la presse, mis au défi les ultramontains de prouver que les curés libéraux du Jura enseignaient autre chose que la pure doctrine de l’Église romaine, et s’était engagé à verser une somme d’argent à celui qui pourrait apporter cette preuve.