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qui eut lieu le 12 février, décida d’appuyer énergiquement la résistance des ouvriers boîtiers. Ce n’était pas sans raisons que toute la population s’intéressait à cette grève, car le résultat de la lutte devait avoir une grande influence sur le moral des sociétés ouvrières et sur leur avenir. Un tiers environ des patrons avaient continué à faire travailler à l’ancien tarif ; afin de triompher des patrons récalcitrants, la fédération locale convoqua pour le vendredi 27 février, au Temple français, une grande assemblée populaire, qui réunit 2500 travailleurs de tous les métiers, et fut présidée par le graveur Fritz Heng, président de la fédération locale ; après avoir entendu plusieurs discours énergiques, l’assemblée adopta à l’unanimité la proposition, présentée par Heng, de nommer une commission chargée d’étudier les moyens pratiques de mettre fin à la grève en associant coopérativement les ouvriers monteurs de boîtes non occupés ; la commission fut élue séance tenante. « Les résultats de cette grande manifestation ne se sont pas fait attendre. Quatre jours plus tard, les patrons monteurs de boîtes, comprenant que la partie était perdue, ont retiré leur nouveau tarif. C’est donc une victoire éclatante pour la solidarité ouvrière. » Il faut ajouter que cette victoire coïncidait avec une légère reprise des affaires qui venait d’avoir lieu. Une lettre de la Chaux-de-Fonds indiquait encore un autre motif qui avait pu déterminer la capitulation des patrons, conseillés par les meneurs politiques : « L’assemblée populaire du 27 février avait été unanime à se prononcer en faveur des grévistes. Toutefois, je pense que c’est moins le résultat de cette assemblée que l’approche des élections politiques qui a engagé les patrons à céder. Les présidents de deux sociétés ouvrières seulement, sur une vingtaine que compte la Chaux-de-Fonds, avaient voulu signer l’affiche habituelle pour la fête patriotique du 1er mars ; et bon nombre d’ouvriers parlent de s’abstenir d’aller voter au mois d’avril ; voilà surtout ce qui, à mon avis, aura mis la puce à l’oreille à nos gros bonnets. »

Au Val de Saint-Imier, le mouvement des sociétés ouvrières s’accentuait de plus en plus dans le sens du programme de l’Internationale. La fédération ouvrière du district de Courtelary groupait quatre sociétés de résistance : l’Alliance des repasseurs et remonteurs (110 membres), l’Association des graveurs et guillocheurs (84 membres), l’Association des faiseurs de secrets (25 membres), l’Union de résistance des monteurs de boîtes (40 membres), plus une cinquantaine d’adhérents individuels appartenant à des métiers non encore organisés. Le magasin coopératif, propriété de la fédération, continuait à se développer. Dans son assemblée générale du 25 janvier 1874, la fédération vota les deux résolutions suivantes : « La fédération recommande à tous ses adhérents la fréquentation régulière des séances des Cercles d’études sociales de Saint-Imier et de Sonvillier, organisés dans le but de favoriser l’instruction mutuelle et l’étude des questions sociales parmi les ouvriers. Elle leur recommande l’abonnement au Bulletin de la Fédération jurassienne de l’Internationale. » Dans un article intitulé Secours mutuels et résistance (Bulletin du 22 mars), un camarade, qui doit être Adhémar Schwitzguébel, attirait l’attention sur l’obstacle opposé au mouvement ouvrier par l’existence, dans certains métiers, à côté des sociétés de résistance, de sociétés de secours mutuels qui immobilisaient des ressources considérables, et qui étaient animées d’un esprit conservateur. « Dans les métiers où existent deux sociétés, la caisse de résistance se ruinera pour soutenir une grève, tandis que la caisse de secours mutuels restera intacte, alors même que les intérêts du métier tout entier seraient menacés de ruine. Combien, dans des cas semblables, ne serait-il pas avantageux qu’il n’y eût qu’une seule caisse, mise entièrement à la disposition de la grève !... Les ouvriers des métiers où ces deux sociétés existent séparément feront bien de travailler à leur fusion ; comme l’obstacle principal est la question financière, et que les sociétés de résistance commencent à posséder des capitaux aussi importants que ceux des sociétés de secours mutuels, les difficultés de cette fusion seraient bien vite vaincues si la question était sérieusement agitée. »

L’anniversaire du 18 mars fut l’occasion de manifestations publiques dans la