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mes pas un vil troupeau ayant besoin du berger qui nous caresse pour mieux nous tondre... Renversons ce monde qui nous écrase, détruisons cette société qui nous renie, vengeons toutes les hontes, les insultes, les ignominies, les abjections dont nous avons souffert. Prolétaires d’Italie, en avant, énergiques et résolus comme nos pères, les esclaves de Spartacus, les ciompi de Lando[1], à la grande lutte pour notre émancipation ! »


Pour la France, je ne trouve dans notre Bulletin, pendant les quatre premiers mois de 1874, que des lettres de la Nouvelle-Calédonie, donnant des détails sur les souffrances des déportés de la Commune, sur les infâmes et barbares traitements infligés par les officiers du Fénelon aux femmes embarquées sur ce transport, sur l’évasion de Rochefort, Grousset, Jourde et de leurs trois compagnons ; puis un article résumant une lettre du Comité des Cercles catholiques d’ouvriers à l’archevêque de Paris, pour demander que dans la future église du Sacré-Cœur, à Montmartre, un autel fût consacré à Jésus-Ouvrier, et la réponse de l’archevêque, qui promettait l’érection de l’autel, et couvrait de fleurs les travailleurs manuels, « associés aux mérites du Fils de Dieu et qui le seront à sa gloire ». Le Bulletin écrivait à ce sujet :


Après cela, les ouvriers auraient bien mauvaise grâce à se plaindre encore de leur sort. L’archevêque de Paris ne vient-il pas de leur démontrer que « plus leur destinée les rapproche de la condition temporelle du Fils de Dieu », c’est-à-dire plus ils sont misérables (car on sait que le Fils de Dieu n’avait pas même un endroit où reposer sa tête), plus ils doivent s’estimer heureux ? La légitimité éternelle du salariat n’est-elle pas établie de la façon la plus péremptoire, puisque Jésus, pour sanctifier l’exploitation de l’homme par l’homme, a voulu lui-même « recevoir le salaire gagné par ses sueurs » ? Enfin, pour comble de bonheur et de gloire, n’apprend-on pas aux ouvriers que ce sont eux « qui possèdent les préférences du cœur de Jésus » ? Ils seront bien ingrats, ces mécréants d’ouvriers, si, après une si touchante manifestation de charité chrétienne à leur égard, ils continuent à fusiller les archevêques de Paris.


Tout en caressant « les ouvriers demeurés ou redevenus chrétiens », les réactionnaires versaillais emprisonnaient les ouvriers membres de l’Internationale : « Le tribunal correctionnel de Lyon vient de condamner un certain nombre d’ouvriers prévenus d’affiliation à l’Internationale aux peines suivantes : Camet[2] et Gillet à cinq ans de prison ; Boriasse, Dupin et Gouttenoire, à trois ans ; Deville, Dubois, Laurençon et Peroncel, à deux ans ; Ayèle, Basque, Bruy, Chazy, Audoire, Gaspard, Damaizin, Luchol et Lafay, à un an ; Gazot, Durieu, Masson, Gaillard, Hivert, Martin, Roure, Roussel et Serre à six mois ; en outre, chacun d’eux est condamné à 50 francs d’amende et à cinq ans d’interdiction des droits civiques. » (Bulletin du 3 mars.)


En Belgique, les mois de février et de mars 1874 furent marqués par des grèves importantes qui éclatèrent dans divers charbonnages, à Flémalle, au Flénu. Vers la fin de mars, le Conseil régional belge, siégeant à Verviers, publia un Manifeste adressé aux sections et corporations de la Fédération belge ; il y rappelait que « les grèves partielles ne seraient jamais un moyen efficace pour assurer les droits du travail », et déclarait « engager les associations ou-

  1. Les ciompi (c’est-à-dire les « compagnons »), à Florence, au quatorzième siècle, étaient les manouvriers, la plèbe exclue du gouvernement de la cité ; en 1378 ils firent une révolution, sous la conduite d’un des leurs, Michel Lando, cardeur de laine.
  2. Après un court séjour à Barcelone dans la première moitié de 1873, Camille Camet était rentré en France, et y avait été arrêté.