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appris ce que nous savons, et, sans eux, où en serions-nous aujourd’hui ? Que nous ne les admettions pas dans nos sociétés de métiers, de résistance, c’est naturel ; et aussi aucun d’eux n’a jamais prétendu y entrer ; mais les repousser entièrement, ou les obliger à se constituer, en dehors des travailleurs manuels, en sections à part, ce serait une chose funeste, qui aurait les plus déplorables résultats.

« Guillaume, rapporteur. Manguette propose que les travailleurs non manuels constituent des sections à part. Mais il faut faire une distinction, car il y a deux sortes de sections. S’agit-il des sociétés corporatives ? là on aura parfaitement raison d’exclure non seulement les travailleurs non manuels, mais tous ceux qui ne sont pas du métier ; un cordonnier ne saurait faire partie d’une société de mécaniciens, pas plus qu’un maître d’école. Sur ce point-là nous sommes donc d’accord. Mais, à côté des sections de métier, il y a des sections mixtes, ce qu’on appelle chez nous des cercles d’études sociales, où sont admis les travailleurs de toutes les professions ; et nous sommes d’avis que fermer la porte de ces sections mixtes à ceux des travailleurs qui n’exercent pas un métier manuel serait à la fois injuste et dangereux. On nous dit que les travailleurs non manuels peuvent acquérir dans les groupes ouvriers une certaine influence ; mais ce sera encore bien pis si vous constituez ces hommes-là en sections à part. Il faut au contraire chercher à rapprocher le plus possible des ouvriers ceux qu’on appelle des travailleurs de la pensée ; il faut qu’ils apprennent à se bien connaître les uns les autres, à se coudoyer tous les jours dans la section, à vivre d’une vie commune, de sorte que les hommes sortis de la bourgeoisie, qui viennent à l’Internationale pour se moraliser et se développer au contact des travailleurs manuels, aient l’occasion de dépouiller entièrement leurs préjugés de caste et de devenir de véritables révolutionnaires.

« Costa. Le but de l’Internationale est l’abolition des classes et l’établissement de la fraternité humaine. Serait-ce être couséquents avec notre but, que de consacrer au sein même de notre association cette distinction des classes que nous voulons anéantir ? Comment veut-on que les bourgeois apprennent à sympathiser avec les ouvriers et à partager leurs aspirations, si les ouvriers les repoussent ? Il n’y a pour moi que deux catégories d’hommes, ceux qui veulent la révolution et ceux qui ne la veulent pas : or il y a des bourgeois qui veulent la révolution avec bien plus d’énergie et de sérieux que certains ouvriers.

« Perrare. Je reconnais qu’il est difficile de délimiter ce qu’on doit entendre par travailleurs, pour l’admission des membres dans notre association. Si vous laissez en contact les bourgeois et les ouvriers dans l’Internationale, ce ne sera qu’au détriment de ces derniers, car les bourgeois, étant plus instruits, acquerront dans les sections une certaine influence qui sera toujours mauvaise pour le travailleur manuel. L’homme qui n’est pas né dans le travail, qui ne sait pas ce que c’est qu’un contre-maître, ce que c’est qu’un patron, ne peut pas comprendre les aspirations de ceux à qui est faite la vie du salarié ; les bourgeois viendront toujours prouver que l’ouvrier est dans l’erreur. Je ne veux pas dire aux travailleurs de la pensée : Vous êtes des parias ; mais je dis que leur admission est une cause de ruine pour l’Internationale ; notre association ne fait déjà plus peur aux bourgeois, parce que ceux-ci ont vu que, par les travailleurs de la pensée, ils pouvaient s’emparer de l’Internationale. Dans la Fédération romande, à Genève, qu’est-il arrivé ? Il y avait les corps de métier, et la section mixte ou section centrale. Dans cette section centrale on recevait tous les gens qui se présentaient ; il y est entré des hommes qui, par leur instruction, sont venus imposer les arguments qu’ils possédaient. Les sections de métier finissaient par adopter tout ce qui venait de là, et la section centrale finit par diriger entièrement la Fédération romande, qui appartint alors à quelques individus ; vous voyez encore ces gens-là gouverner aujourd’hui cette fédération. Je voulais donc vous dire simplement ceci : En raison de ce que nous avons vu, nous venons vous proposer, non pas de mettre les travail-