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sons le danger que l’on court avec une Commission centrale unique, comme le fut le Conseil général. On pourra lui ôter tous les pouvoirs, elle les conservera de fait à raison de sa position privilégiée. Sur ce point l’expérience est faite et bien faite. » Quant à la proposition de la Belgique et du Jura, il faut considérer ceci : nous aurons l’an prochain un Congrès général, et une Fédération régionale sera naturellement chargée de le préparer ; nous allons par conséquent avoir à donner un mandat à cet effet à une Fédération, qui deviendra, pour une tâche spéciale et un temps limité, un rouage central de notre organisation ; voilà donc, par ce fait, l’une des trois Commissions proposées par le projet des Fédérations belge et jurassienne qui se trouvera instituée. Restent la Commission de statistique et la Commission des grèves ; pour ces deux Commissions, nous pourrions essayer soit l’une, soit l’autre des combinaisons proposées, c’est-à-dire placer ces Commissions chacune dans une Fédération distincte, ou bien charger de leur constitution la même fédération qui servira déjà d’organe de correspondance. Faisons un essai, quel qu’il soit ; quand nous aurons vu qu’une forme d’organisation a des inconvénients, nous la supprimerons pour la remplacer par une autre, qui sera expérimentée à son tour.

Viñas dit que la définition de l’anarchie donnée par Hales est aussi mauvaise que celle d’Ostyn. Ce que Hales appelle anarchie, c’est l’individualisme ; tandis qu’anarchie signifie négation de l’autorité. Anarchie veut dire organisation de l’ordre économique, et négation de l’autorité politique[1]. « Je crois, comme Hales, qu’il est utile d’établir une Commission unique, chargée de la correspondance, de la statistique, et des grèves, pourvu qu’on ne lui donne aucun pouvoir. Si je préfère une Commission unique à plusieurs Commissions, c’est que le travail ainsi centralisé sera plus facile. Si l’on prétend que l’institution d’une semblable Commission est contraire aux principes, il faut se hâter d’abolir les comités des sections et ceux des fédérations. »

Brousse dit que Hales a donné du mot anarchie une définition qu’il lui est impossible de laisser passer sans protester. « Anarchie ne veut pas dire désordre ; ce n’est pas autre chose que la négation absolue de toute autorité matérielle. C’est l’abolition du régime gouvernemental, c’est l’avènement du régime des contrats. Je ne vois rien là qui soit contraire à l’organisation collectiviste. » En ce qui concerne la question en discussion, Brousse déclare qu’il est aussi pour la méthode expérimentale : « Mais l’expérience est déjà faite. Nous avons vu les inconvénients d’un pouvoir international ; nous avons vu, dans la lutte qui vient de le renverser, les avantages de l’absence de toute autorité. La logique veut donc que nous restions fidèles à l’organisation anarchique qui nous a donné la victoire. Si nous organisons un pouvoir quelconque, nous refaisons sans nous en douter l’histoire bourgeoise. Nous avons aboli la dictature du Conseil général, comme on a aboli la monarchie absolue ; vos trois Commissions correspondent aux gouvernements constitutionnels de la bourgeoisie libérale[2]. Ce qui convient aux internationaux, c’est de n’avoir plus de gouvernement. »

Van den Abeele pense que la proposition des Belges et des Jurassiens peut être modifiée, si la discussion en fait surgir une meilleure. « Nous avons proposé la création de Commissions de statistique, de correspondance, des grèves. Peu nous importe, d’ailleurs, que l’on nomme trois Commissions, ou seulement deux. Nous pourrions même nous trouver d’accord avec Viñas et Hales pour la création d’une Commission unique. En Belgique, cette institution a pour elle la consécration de l’expérience. Notre Conseil régional rend d’énormes services, et, comme il reçoit des ordres et n’en donne jamais, il demeure ser-

  1. À rapprocher de ce passage de Bakounine (Les Ours de Berne et l’Ours de Saint-Pétersbourg, t. II des Œuvres, p. 34) : « La centralisation économique, condition essentielle de la civilisation, crée la liberté ; mais la centralisation politique la tue ».
  2. Il n’est pas nécessaire de faire remarquer ce qu’il y a de fallacieux et de superficiel dans le parallèle historique établi par Brousse.