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Notre correspondant de Madrid nous écrivit au sujet des socialistes du Portugal (Bulletin du 24 août) :

« La Fédération portugaise, qui avait jusqu’ici gardé une attitude neutre dans les questions qui divisent l’Internationale, paraît disposée à se rallier aux principes autonomistes. Elle a traversé une crise, d’où nous espérons qu’elle sortira plus puissante et plus forte que jamais, débarrassée de quelques éléments qui étaient pour elle une entrave, et qui, occupant les postes de confiance, avaient appris, à l’école d’Engels[1], à cacher aux fédérés les communications et les correspondances importantes. »


À propos de la situation de l’Internationale en France, il sera intéressant de reproduire une lettre écrite par Bakounine à Pindy, à la date du 11 janvier 1873. La voici :


Mon cher Pindy, Tu ne seras pas étonné que l’envie m’ait pris de causer avec toi. J’ai été si content, si heureux de me voir en parfaite harmonie avec toi à Saint-Imier ! Nous avons, et moi surtout j’ai si peu d’amis français ! Toi, Alerini, Camet, voilà tout notre paquet[2]. Ah ! il ne faut pas que j’oublie cet excellent Élisée Reclus, qui est venu me voir il y a trois ou quatre semaines, et avec lequel nous nous entendons de mieux en mieux. C’est un homme modèle, celui-ci — si pur, si noble, si simple et si modeste, si oublieux de soi-même. Il n’a peut-être pas tout le diable au corps désirable ; mais c’est une affaire de tempérament, et la plus belle fille ne peut donner que ce qu’elle a. C’est un ami précieux, bien sûr, bien sérieux, bien sincère et tout à fait nôtre. Il m’a envoyé tout dernièrement deux nouveaux manifestes de MM. Albert Richard et compagnie. Je vous les envoie. Lis-les ; ils sont curieux. Vous les recevrez de Sonvillier. Et sais-tu qui figure maintenant dans la compagnie de Richard ? Bastelica en personne et son ami Pollio. Ils sont tous réunis aujourd’hui à Milan, bien recommandés aux soins de nos amis italiens...[3].

Et en France, comment les choses marchent-elles ?

Tant que l’état de choses actuel existe, vous devriez faire, il me semble, de la Fédération jurassienne un centre provisoire de tout le mouvement international révolutionnaire dans la France méridionale ; et toi, mon cher ami, qui as conservé une influence si légitime dans ton pays, tu peux y contribuer beaucoup. La grande difficulté pour tes compatriotes, c’est qu’ils ont désappris à conspirer, et que, sous le régime actuel, sans con-

  1. Engels écrivait à Sorge, le 14 juin : « Les Portugais [c’est-à-dire ses affidés en Portugal] se plaignent de ne recevoir absolument rien de vous ; et pourtant ils sont très, très importants pour nous ».
  2. Bakounine, on le voit, ne comptait pas Lefrançais ni Malon au nombre de ses amis ; il ne connaissait pas les proscrits qui formaient la Section de propagande et d’action révolutionnaire socialiste de Genève.
  3. Bastelica finit en effet par se laisser entraîner à faire cause commune avec Richard et Blanc ; mais je crois que la nouvelle que donnait ici Bakounine était un peu prématurée, et que ce fut seulement quelques mois plus tard, dans l’été de 1873, que Bastelica fit adhésion ouvertement à l’entreprise d’Albert Richard. En tous cas, il ne se trouvait pas à Milan en janvier 1873. Lorsque l’imprimerie G. Guillaume fils fut devenue, au commencement de 1873, l’imprimerie L.-A. Borel, Bastelica continua d’y travailler comme typographe pendant environ deux ans encore ; il se rendit ensuite à Strasbourg, puis à Paris, où il est mort dans l’obscurité, vers 1880, m’a-t-on dit. Naturellement, dès que je sus la nouvelle attitude prise par Bastelica, je cessai toute relation avec lui. — Du rôle joué dans cette affaire par le Marseillais Pollio, je ne sais rien.