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taire, le remplaça. Alors le gouvernement envoya contre Alcoy une armée de six mille hommes ; les ouvriers, dont un millier seulement avaient pu se procurer des armes, négocièrent ; le gouverneur d’Alicante promit qu’il ne serait exercé aucune poursuite contre les insurgés, et la bourgeoisie d’Alcoy s’engagea à céder à toutes les exigences formulées par les travailleurs relativement à la grève (augmentation de salaires, et journée de huit heures), et à payer en outre leur journée à tous les ouvriers, comme s’ils avaient travaillé, pendant tout le temps de la grève et des événements. Ces conditions furent acceptées. « Les promesses de la bourgeoisie, — dit la correspondance (Madrid, 4 août) publiée par notre Bulletin, à laquelle j’emprunte ces détails — ont été jusqu’ici observées. Quant à celles de l’autorité, s’il est vrai qu’elle n’a fait aucune arrestation à Alcoy, il paraît cependant qu’elle a lancé des mandats d’amener contre quelques membres de notre Commission fédérale. Le Conseil municipal d’Alcoy a été remplacé par une commission composée de bourgeois et d’ouvriers ; la police a été supprimée, et le soin de la sécurité publique confié à des patrouilles de travailleurs. »

Les républicains fédéraux « intransigeants », ayant vu le pouvoir passé aux mains des unitaires, s’insurgèrent à Carthagène, à Murcie, à Cadix, à Séville, à Grenade, à Valencia, etc., pour faire une révolution « cantonaliste ». Le gouvernement espagnol fit appel à l’intervention étrangère (on sait que l’Allemagne envoya une frégate contre Carthagène), et dirigea deux armées, sous Pavia et Martinez Campos, contre les insurgés. Pavia s’empara successivement de Séville (30 juillet) et de Cadix (4 août) ; Martinez Campos assiégea et prit Valencia (26 juillet-8 août), puis Murcie ; quant à Carthagène, sa forte position devait lui permettre de résister plus longtemps. Barcelone ne prit pas de part au mouvement cantonaliste ; les ouvriers de la ville et des environs proclamèrent la grève générale ; mais, pour éviter l’insurrection, le gouvernement réussit à faire sortir de Barcelone des bataillons révolutionnaires, qu’il envoya contre les carlistes pour remplacer les troupes employées contre Séville et Valencia ; ainsi « le peuple se trouva désarmé, et la réaction resta maîtresse de la cité[1] ». Je ne puis raconter ici le détail des événements ; je veux seulement, pour indiquer sommairement quelle part y prirent les internationaux, reproduire quelques passages de la lettre qui nous fut écrite de Madrid le 4 août (à un moment où Valencia et Murcie étaient encore en armes) :

« La Fédération d’Alcoy et celle de San Lucar de Barramoda[2] (près Cadix) sont les seules qui aient tenté pour leur propre compte un mouvement contre l’ordre de choses établi. Partout ailleurs, à Carthagène, à Valencia, à Séville, à Grenade, etc., l’insurrection a été l’œuvre, non des ouvriers socialistes, mais de chefs militaires ou politiques qui ont cherché à exploiter, dans un but d’ambition personnelle, l’idée de l’autonomie du canton ou du municipe... Les insurrections provinciales, je le répète, n’ont pas été faites par l’Internationale ; en beaucoup d’endroits même, elles ont été faites contre elle, et les chefs du mouvement se sont montrés aussi hostiles au socialisme que le sont les gouvernants de Madrid.

« Dans quelques localités, cependant, les ouvriers internationaux, bien que n’ayant pas pris l’initiative du mouvement cantonaliste, ont cru devoir l’appuyer. À Valencia, par exemple, c’est ainsi que les choses se sont passées. Dans cette

  1. La Solidarité révolutionnaire de Barcelone, 16 juillet 1873. — Sur le journal de langue française la Solidarité révolutionnaire, voir plus loin, p. 90.
  2. À San Lucar, « le peuple, composé presque entièrement d’internationaux, avait dissous le Conseil de ville, et chargé de l’administration municipale le Conseil local de la fédération. Diverses mesures révolutionnaires furent prise, comme la démolition des églises et des couvents, un impôt de 25,000 duros (125,000 fr.) sur la bourgeoisie, et l’obligation pour celle-ci de donner du travail aux ouvriers inoccupés ». (Rapport de la Commission espagnole de correspondance au Congrès général de Genève, 1873.) Notre Bulletin du 24 août dit : « La ville de San Lucar de Barrameda, la seule, avec Alcoy, où l’Internationale ait agi pour son propre compte, a été occupée par l’armée de l’ordre. La Federacion annonce que cent cinquante internationaux ont été emprisonnés. »