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clarées pour les principes « anarchistes et collectivistes » ; cinq autres fédérations avaient adressé leurs félicitations au Congrès ; en sorte qu’un total de 331 sections, avec 25.601 membres, s’étaient prononcées contre les décisions du Congrès de la Haye. Une lettre de la Commission espagnole de correspondance au Comité fédéral jurassien, en février, avait annoncé que les Unions de métier constituées en Espagne désiraient établir des relations de solidarité avec les Unions des autres pays, afin de constituer des Unions internationales ; ces Unions espagnoles étaient au nombre de dix, savoir : ouvriers manufacturiers ; ouvriers du bâtiment ; travailleurs des champs ; tonneliers ; chapeliers ; ouvriers en peaux ; ouvriers en bois fins ; cordonniers ; ouvriers en fer ; ouvriers noographes (typographes, lithographes, etc.)[1]. Aux organes déjà existants de l’Internationale espagnole, la Federacion de Barcelone, le Condenado de Madrid, la Revista social de Gracia, s’étaient ajoutés successivement l’Orden de Cordoue, l’Obrero de Grenade, la Internacional de Málaga. Une statistique faite au milieu d’août 1873 constata de nouveaux progrès de la propagande et de l’organisation : la Fédération espagnole comprenait alors cent soixante-deux fédérations locales constituées, comptant ensemble 454 sections de métiers ou de résistance et 77 sections de métiers divers ; et cent huit fédérations locales en formation, comptant 103 sections de métiers ou de résistance et 40 sections de métiers divers : en tout 674 sections.

Mais des événements politiques graves allaient se passer. Après la réunion des Cortès constituantes, qui avaient adopté en principe la République fédérale, Pi y Margall était devenu chef du pouvoir exécutif (11 juin). De nombreux mouvements ouvriers, pour des augmentations de salaire et pour la diminution de la journée de travail, avaient eu lieu depuis plusieurs mois ; ils continuèrent à se produire, et, dans beaucoup de localités, à la suite d’actes arbitraires des autorités, on en vint aux mains. La Commission espagnole de correspondance publia, le 15 juin, une protestation dans laquelle elle disait : « Il faut que les travailleurs s’éloignent de toutes les farces et de tous les farceurs de la politique bourgeoise, qu’ils s’organisent, se préparent pour l’action révolutionnaire du prolétariat afin de détruire le plus tôt possible les privilèges qui soutiennent des pouvoirs autoritaires et font leur force ». À Barcelone, vers le 20 juin, à la suite d’une manifestation populaire, un groupe de socialistes, à la tête desquels se trouvait Vinas, s’empara de l’hôtel de ville et y installa un « Comité de salut public », composé de sept délégués des bataillons de la garde nationale, sept délégués des différents cercles fédéralistes, et sept délégués des ouvriers ; mais au bout de quelques jours il fallut reconnaître que la population barcelonaise n’était pas disposée à s’associer à un mouvement révolutionnaire. Dans d’autres villes, à Carmona, à Paradas, à San Lucar de Barrameda, etc., les ouvriers se soulevèrent, et se rendirent maîtres des municipalités pendant un temps plus ou moins long.

En même temps que les ouvriers agissaient, les républicains fédéraux dits intransigeants (intransigentes) se préparaient à s’insurger contre le gouvernement des républicains fédéraux dits bénévoles (benevolos), ou platoniques. Des troubles éclatèrent à Grenade, à Séville, à Málaga, à Valencia, etc. Sur ces entrefaites, les ouvriers d’Alcoy, au nombre de dix mille, déclarèrent la grève générale ; la municipalité ayant fait tirer sur les grévistes, les ouvriers coururent aux armes (lundi 9 juillet), et, après une lutte acharnée[2], restèrent maîtres de la ville. La bourgeoisie espagnole, dont la presse avait immédiatement travesti les événements d’Alcoy en inventant des atrocités (curés pendus à des lanternes, hommes plongés dans des bains de pétrole, têtes de gardes civils coupées et promenées dans les rues, jeunes filles violées, etc.), réclama à grands cris une répression : Pi y Margall, mis en demeure de faire marcher l’armée, préféra donner sa démission (13 juillet) ; Salmeron, républicain uni-

  1. Bulletin du 15 mars 1873.
  2. Le mouvement était dirigé par un membre de la Commission espagnole de correspondance, Severino Albarracin.