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Lavrof, qui était un très savant mathématicien, et possédait une culture encyclopédique, tint un langage qui, à Bakounine si simple et si familier, parut empreint de quelque charlatanisme scientifique. Lorsque je le vis quatre mois plus tard, à Berne, en septembre 1873, et que je lui demandai quelle impression Lavrof avait produite sur lui, il me répondit: « En l’écoutant, je pensais : Quel dentiste ! »

Sokolof, qui était un homme de talent, avait malheureusement, dès ce temps-là, des habitudes d’ivrognerie. Quelques jours après la scène avec Smirnof, il fit une chute, après boire, et se cassa une jambe ; cet accident contribua, je crois, à calmer les esprits en ébullition. Aussitôt qu’il fut transportable, Sokolof quitta Zürich (20 mai). Il n’eut pas de relations ultérieures, à ma connaissance, avec Bakounine et ses amis.

Je parlerai plus loin d’une autre querelle qui éclata, dans l’été de 1873, dans le groupe même des amis de Bakounine.


La Fédération belge tint un Congrès le 13 avril (Pâques) à Verviers. Ce fut, dit le Bulletin, « l’une des plus imposantes manifestations du socialisme en Belgique depuis plusieurs années... Une foule considérable de compagnons, venus de toutes les Sections du bassin de la Vesdre, se pressait aux abords de la station pour recevoir les délégués qui devaient arriver de tous les points du pays. La gare était occupée par l’autorité ;... les troupes étaient consignées à Liège, à Namur et à Gand ; au premier signal, la garde civique devait être sous les armes... Vers dix heures et demie du matin, le cortège se forma..., et, aussitôt les délégués arrivés, il s’ébranla. Il y avait certainement de sept à huit mille hommes dans le cortège. » Le Congrès adopta une proposition de Verrycken, portant qu’une commission serait chargée « de rédiger un projet de règlement international basé sur la non-existence d’un Conseil général ». Dans une séance du lendemain 14, les délégués discutèrent la question de la grève générale, considérée comme le moyen d’opérer l’expropriation de la classe capitaliste ; et les idées échangées firent voir « combien les ouvriers belges sont profondément pénétrés du but radical que se propose l’Internationale ». Flinck, de Verviers, dit qu’il faudrait renoncer à l’avenir à toutes les grèves partielles, qui donnent si peu de résultats favorables malgré les énormes sacrifices qu’elles causent, et consacrer tous ses efforts à préparer une grève générale ; Standaert, de Bruxelles, exprima la même opinion : « Ce qu’il y aura de plus utile, dit-il, dans la propagande en faveur d’une grève générale, c’est que cette propagande fera renoncer aux grèves partielles, qui produisent souvent de si déplorables résultats et dont l’insuccès décourage et écrase les corporations ». Il faut noter, comme témoignage du point de vue auquel on se plaçait dans le Jura, cette observation du Bulletin : « Pour nous, nous partageons l’avis exprimé par les compagnons Flinck (de Verviers) et Standaert (de Bruxelles) : l’utilité immédiate de l’idée d’une grève générale sera que cette idée fera abandonner les grèves partielles toutes les fois que l’absolue nécessité de celles-ci ne sera pas démontrée. Nous éviterons ainsi beaucoup de sacrifices inutiles, beaucoup de désastres qui font à la cause un tort matériel et surtout moral incalculable. » Le Congrès nomma une commission spéciale pour rédiger un Appel aux travailleurs des campagnes ; les membres de cette commission furent César De Paepe, H. Van den Abeele, Laurent Verrycken, Alfred Herman et Victor Dave.

Un nouveau Congrès fut tenu à la Pentecôte (1er juin), à Gohyssart-Jumet, dans le bassin de Charleroi. L’acte important de ce Congrès fut l’adoption d’un projet de nouveaux statuts généraux pour l’Internationale ; dans ce projet le Conseil général était supprimé ; chaque année le Congrès général devait désigner une Fédération régionale pour préparer le Congrès suivant ; une autre Fédération serait chargée de centraliser les faits statistiques, et une autre de recueillir et de transmettre les renseignements relatifs aux grèves. Ces bases d’organisation étaient celles que la Fédération jurassienne avait adoptées en avril dans son Congrès de Neuchâtel.