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rance dans la justice à venir. L’observation superficielle n’a vu souvent dans ce livre que le radotage d’une casuistique raffinée, d’une superstition raisonnante et subtile : elle n’a pas aperçu le principe de vie qui était là, et qui a fait que la pensée juive a pu, grâce à lui, traverser, sans s’éteindre, la nuit intellectuelle du moyen âge : à savoir, la conscience profonde que le culte n’est point tout le Judaïsme, qu’il n’en est que le signe externe et passager, symbole matériel et conventionnel auquel se reconnaissent ceux qui ont reçu en dépôt la vérité, mais absolument distinct de cette vérité même qui est éternelle et universelle, qui est toute à tous et qui brûle de devenir un jour la propriété commune de tous les hommes. La pensée qui se dégage de ce livre, consacré presque tout entier à assurer la préservation du culte, c’est que le culte est transitoire, et que les pratiques juives cesseront quand les vérités juives seront partout reconnues[1]. C’est cette pensée féconde, explicitement exprimée par les docteurs du moyen âge, qui va assurer à la caste proscrite le privilège de la pensée, à l’heure où toute lumière s’éteint, et où, d’un bout de l’Europe à l’autre, l’Église fait régner l’ordre chrétien dans les intelligences pacifiées. La dispersion peut venir : l’unité morale est faite et la vie assurée.

Cette unité est si forte que l’œuvre qui la consacre d’une façon définitive et durable vient, non de Jérusalem, mais de l’étranger, des écoles de Babylonie[2]. C’est de là que le Talmud va se répandre chez tous les Juifs dispersés, et les prescriptions des Amoraïm de l’Euphrate vont devenir la loi de leurs frères des bords du Nil aux bords de l’Aude. Quelques-uns veulent se soustraire à ce joug, les Caraïtes, qui remontent à la Bible comme loi unique : faute d’avoir vu que le Judaïsme n’est pas une religion figée et immuable, mais progressive et toute de changement, leur révolte contre le joug du Judaïsme talmudique n’aboutit qu’à un long suicide : en voulant supprimer six siècles de vie dans leur passé, ils se condamnent à rompre avec l’avenir, à ne plus

  1. Avant même cette époque, le Juif peut, en temps de persécution ou en cas de danger, se considérer comme dégagé de toutes les prescriptions de la loi, sauf de trois, celles qui défendent l’idolâtrie, l’impureté et l’homicide (Maïmonide).
  2. Le Talmud de Jérusalem ne s’est pas répandu et compte pour peu dans le développement du moyen âge.