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doit être endetté… Je crois tenir la clef de l’énigme. Décidément, je ne suis pas dans la peau d’un crétin, acheva-t-il, enchanté de lui.

À mesure qu’il y réfléchissait davantage, Augulanty trouvait sa solution plus raisonnable. Il connaissait la passion immense, aveugle, frénétique de Mme Pioutte pour son fils. Ce n’était d’ailleurs un secret pour personne. Mme Pioutte n’ayant jamais songé qu’on pût dissimuler un amour aussi naturel, quelque exclusif qu’il fût, Augulanty eut maintes fois l’occasion d’observer l’indifférence qu’elle montrait à ses filles en comparaison de l’affection qu’elle avait pour son fils. Il n’était pas extraordinaire que, pour son Charles, cette mère fût allée jusqu’au vol. Ce qui ravissait le digne économe, c’est qu’avec un pareil secret il tenait entre ses mains la mère de Virginie et qu’il était en son pouvoir de la faire trembler tout à son aise, car la divulgation de ces faits risquait fort de brouiller, avec sa sœur et son neveu, l’abbé Barbaroux, qui était inflexible sur les choses de l’honneur et pour qui la plus légère indélicatesse était un crime.

Or, il se trouvait qu’Augulanty, étant encore à Aix, avait donné gratuitement des leçons au fils d’un ami de son père. Ce jeune homme, Jean Badiez, maintenant peintre à Paris, lui en gardait une grande reconnaissance. Il connaissait Charles Pioutte. Augulanty lui écrivit. Il lui demanda de faire une enquête sur son confrère, de savoir comment il vivait, s’il avait des dettes et si, par hasard, depuis six mois, il ne dépensait pas beaucoup d’argent.

— Si Pioutte est endetté ou mène la vie à grandes guides, se disait Augulanty, je suis un homme de génie, et Virginie est à moi. Et je connais mon gaillard, s’il a touché la forte somme, il est incapable de n’avoir pas fait des dépenses excessives et absurdes que chacun doit connaître… Devrais-je aller moi-même à Paris, je saurai la vérité… Sinon, il me faut chercher ailleurs une autre combinaison et reprendre peut-être mon ancienne version des dettes de la Pioutte…

La réponse de Jean Badiez se fit attendre trois semaines, trois semaines pendant lesquelles M. Augulanty se rongea