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Mais, après les premiers mets, ils s’abandonnèrent à plus de joie ; des enfants commencèrent à crier. Le champagne les enthousiasma ; à la glace, on ne pouvait plus les tenir. Cependant, M. Augulanty portait un toast. Il lut un discours extrêmement habile, où, tout en souhaitant beaucoup de bonheur aux jeunes époux, « que les douces mains de l’amour avaient conduits sur les routes de l’Hyménée », il prodigua les flatteries à l’abbé Barbaroux et surtout à M. Caillandre, ce qui étonna quelques assistants. L’abbé tint à remercier son économe et à prononcer une allocution. Quand il commença à parler de ses nièces, l’émotion l’empêcha de continuer. Sa voix était entrecoupée de larmes ; il se rassit sans avoir achevé. On applaudit à grand fracas. Le plaisir de marier celle qu’il considérait comme sa fille spirituelle, avec l’homme qui devait assurer son bonheur, la satisfaction d’avoir pu aider cette union par un sacrifice, — ce qui lui donnait la complaisante joie de se savoir dévoué et magnanime et il n’y a rien qui émeuve autant, — tout cela l’agitait étrangement, il éprouvait une plénitude heureuse à voir les siens contents autour de lui. On se mit ensuite à danser.

Ce fut le plus beau moment de la journée. Les valses succédaient aux quadrilles, sans interruption, et les pieds des danseurs soulevaient une poussière vagabonde. Plusieurs d’entre eux mêlaient à leurs entrechats des excentricités personnelles qui excitaient de grands éclats de rire. Tous étaient rouges, suants, essoufflés, mais hilares et infatigables. L’abbé Barbaroux allait de groupe en groupe, se frottant les mains, épanoui, voyant partout le triomphe de la bonté de Dieu. Le vieux M. Farnarier, débarrassé de ses ballots de pardessus et de châles, grignotait des biscuits que sa femme lui apportait sans cesse. La timide Mme Hampy rougissait toute seule dans un coin, et Mme Maubernard se répandait dans l’assistance, bonne, affable, ayant un mot aimable pour chacun questionnant les uns, causant avec les autres, faisant de nouvelles connaissances, récoltant les invitations, se glissant dans la famille Caillandre, comme une souris dans un trou, afin de s’y nicher, et de rayonner de là tout autour comme l’ange des affaires d’autrui.