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comme il l’était de Charles et de Virginie. Pour plus de sûreté, Mme Pioutte s’arrangea de telle sorte que la lecture eut lieu, un mardi, à l’heure de la classe de son frère. Elle avait choisi pour notaire Me Lacreu, sous le prétexte qu’il lui avait rendu de grands services, lors du décès de son mari et des difficultés qu’elle éprouva, alors, à régler ses affaires.

En sortant du cabinet de Me Lacreu, Mme Pioutte se sentit l’âme rassérénée. Elle avait craint jusqu’au dernier moment que sa supercherie ne fût découverte. Maintenant, elle était tranquille. Les témoins de Cécile étaient deux cousins germains de son père, un inspecteur de la manufacture des tabacs, M. Bertrandon, et M. Regouffre, agent d’assurances. Ils connaissaient peu l’abbé Barbaroux et n’avaient aucune occasion de le rencontrer. Sa conscience inquiète, maintenant rassurée, elle n’eut qu’à se réjouir du tour heureux qu’avaient pris les événements et de l’habileté qu’elle y avait montrée.

En arrivant à Paris, Charles lui écrivit une lettre admirable de chaleur, d’enthousiasme et de protestations affectueuses qui aurait suffi à récompenser Mme Pioutte. Il lui assurait qu’il se marierait le plus tôt possible, c’est-à-dire au commencement de l’année prochaine. C’était déjà un retard sur son ancien projet. Mais Mme Pioutte ne s’avisa pas de songer à ce détail. Elle caressait le rêve d’aller à Paris habiter avec son fils, aussitôt qu’elle aurait marié Virginie, ce qu’elle espérait faire au plus vite, avec l’aide de la bonne Mme Maubernard. Elle voyait déjà Charles au pinacle, riche, considéré, décoré de la Légion d’honneur. Et demeurant alors auprès de lui, elle jouirait de toute sa gloire. Cette femme pratique et qui connaissait mieux que personne la valeur de l’argent et les difficultés de la vie, dès qu’il s’agissait de son fils, tombait dans le plus étrange aveuglement.

On célébra le mariage dans les premiers jours d’avril. La messe fut dite aux Réformés par l’abbé Barbaroux, mais comme il avait refusé par modestie de prononcer le discours, ce fut l’abbé Tacussel, ami du marié, qui s’en chargea. Il fut plus mielleux que jamais, il accabla les deux familles d’éloges, de flatteries, de compliments, il