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reux le préservaient de la vieillesse intérieure. Et sa vie, enclose de tous côtés par la foi, qui la garantissait d’une connaissance plus douloureuse et plus réelle du monde, se continuait, intègre, nette et pure, sans hésitation ni défaillance, en sorte qu’il avait, à soixante-sept ans, la même âme sincère et affectueuse, le même culte du devoir et de l’honneur, le même dévouement à ce qu’il nommait le Bien que lorsque, à peine âgé de vingt ans, il entrait à l’École normale.

Ce dernier jeudi de janvier, les professeurs, en arrivant, glacés par la bise, remarquèrent l’air affecté et sombre du vieux prêtre, qui causait avec M. Augulanty, économe de l’établissement, et, pour ainsi dire, son sous-directeur. Le visage grave de l’abbé se contractait et se renfrognait sous l’influence d’un violent chagrin. M. Augulanty, qui faisait toujours de sa figure un reflet de celle du maître, étalait une face inquiète et bouleversée, qui parodiait l’abbé Barbaroux.

Les professeurs entrèrent, par petits groupes, dans la salle d’études du premier étage où ils se réunissaient. Ils saluèrent le directeur, serrèrent la main moite et glissante de M. Augulanty et prirent place autour d’une longue table, creusée et minée par l’ingéniosité des écoliers, qui combattent, comme chacun sait, leur paresse naturelle en exécutant dans le bois des pupitres les travaux les plus pénibles et les plus absorbants.

Après avoir récité trois Pater, trois Ave et un Souvenez-vous, l’abbé Barbaroux donna la parole à ses collaborateurs pour qu’ils lui communiquassent leurs réflexions sur les élèves. Il interrogea successivement M. Bermès, qui faisait la rhétorique, ancien professeur au collège Stanislas et ancien journaliste, un petit homme bavard et gai, potinier et content de soi, puis M. Niolon, rêveur et distrait, au visage pâle, encadré d’une longue chevelure blonde, M. Serpieri, un Corse au visage tanné, colérique et rébarbatif, M. Inart, chargé du cours de mathématiques, et M. Peloutier, poète à ses moments perdus et qui essayait, en les enseignant, d’apprendre les langues vivantes.

Puis on consulta l’abbé Mathenot, qui dirigeait la