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sons où elle se rendait fréquemment. Mais quoi, ne convient-il pas d’user d’indulgence envers qui ne cherche qu’à plaire à chacun, par un tel aveu de préférence ?

— Croyez bien que cette affection vous est rendue par nous, fit Mme Pioutte.

— Je le sais, chère petite, je le sais, répondit la vieille dame, en pressant dans la sienne une des mains osseuses de son amie. Je vous parle ainsi pour que vous compreniez la raison qui me pousse à me mêler de ceci. C’est une véritable tristesse pour moi que de voir des jeunes filles aussi parfaites que Cécile et Virginie ne pas se marier, parce qu’elles ne sont pas riches… Ah ! dans quel temps vivons-nous, Seigneur ! Quand j’étais jeune, il suffisait qu’une jeune fille eût des principes, fût élevée au ménage, avec ordre et économie, pour qu’on la demandât. Aujourd’hui, il faut de l’argent, rien que de l’argent ! Je sais, chère petite, combien la situation de vos filles vous préoccupe.

Mme  Pioutte fit un geste d’orgueilleuse protestation,

— Oh ! ne niez pas, Gaudentie ! Je sais que vous avez du courage et de la dignité. Mais on ne cache pas aux yeux clairvoyants et affectueux d’une amie de trente ans ce qu’on dissimule si facilement aux autres. Par conséquent, ne vous froissez pas de ce que je vais vous dire et écoutez-moi en silence.

Il était, certes, bien difficile d’écouter autrement Mme Maubernard, et Gaudentie ne s’avisa pas de l’essayer. Mais s’approchant de son amie et enfonçant ses coudes pointus dans les accoudoirs du fauteuil, elle suivit avec circonspection les labyrinthes de phrases où s’engageait la visiteuse. Le sens des paroles vagues qu’elle avait d’abord prononcées se précisait peu à peu. Mme Pioutte attendait, non sans quelque impatience, qu’après tant de précautions oratoires Mme Maubernard en vînt à l’objet réel de sa visite. Cela ne tarda pas trop.

— Je n’y vais pas par quatre chemins, continua la vieille dame, je dis les choses comme elles sont. C’est pour cela que j’ai voulu vous assurer d’abord que j’agis dans l’intérêt de vos filles, avec tout l’empressement et la sympathie qu’elles méritent. Enfin, voici la chose.