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l’abbé, assura son lorgnon sur ses yeux clairs et prescrivit des remèdes violents.

Mme  Pioutte raccompagna le médecin à la porte pour le consulter :

M.  Barbaroux vient d’avoir une bonne attaque, madame, dit-il, d’une voix où semblait se lire une profonde satisfaction. Une bonne attaque hémiplégique…

— Est-ce étrange, cela, monsieur ! Mon frère n’était ni gros, ni rouge, on n’aurait jamais pu croire, maigre et nerveux comme il était…

— Bah ! madame, cela n’est pas une raison, s’écria joyeusement le docteur. Une rupture de vaisseau dans la tête, qui peut prévoir cela ? Et ça suffit bien, conclut-il, en riant.

Et il se frotta énergiquement les mains, avec son mouchoir de batiste, comme pour souligner qu’il n’était aucunement responsable des écarts de conduite de ces vaisseaux, que cela se faisait bien sans lui et qu’il se lavait les mains des conséquences de ces accidents.

— Mon frère est-il en danger ? demanda Gaudentie, sur un ton larmoyant.

— Hum, madame… Il a échappé à la première attaque, c’est certain. Mais il peut en survenir une seconde, d’ici à deux à trois jours, et alors, je ne réponds plus de rien…

— S’il guérit ? murmura Mme Pioutte, à travers ses larmes, sera-t-il encore aussi ingambe qu’auparavant ?

— N’y comptez pas, n’y comptez pas ! s’écria le docteur, comme si cette déclaration le comblait d’aise. M. l’abbé aura certainement le côté gauche paralysé…

— Quel affreux malheur, mon Dieu !

Et Mme  Pioutte se mit à pousser des plaintes, qui ressemblaient à des gloussements.

Il fallut alors transporter l’abbé au premier étage. Ce fut difficile. Augulanty le tenait par les épaules, Mathenot, par les pieds, Serpieri lui soutenait les reins. Le cortège monta lentement l’escalier. Et les élèves, mal contenus par Niolon et par Peloutier, débordant sur les paliers, pesant sur les portes, montrant des têtes curieuses et amusées, regardaient défiler ce convoi lugubre, en songeant que cela leur procurerait, sans doute, quelques jours de congé.