Page:Jaloux - Les sangsues, 1901.djvu/223

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Quand je viens à toi, toute blessée, toute souffrante, quand mon cœur d’honnête femme considère ce qu’est devenue ma fille, ah !… Tu ne trouves que des reproches à m’adresser, tu as l’air de croire que je suis pour quelque chose dans ce malheur… Ah ! si mon pauvre mari vivait, lui, au moins !… Tiens, Théodore, tu viens de me redonner mes palpitations…

Elle appuya sa main sur son cœur, comme pour en compter les battements. Son frère la regardait avec mépris et dégoût. Cette comédienne, qui jouait maintenant une scène sentimentale pour l’attendrir et éviter ses reproches, était-ce possible que ce fût là vraiment la femme que, pendant tant d’années, il avait estimée et chérie ?

— Je ne te dis pas que tu y sois pour quelque chose, répliqua-t-il enfin, je pense que non. Je pense aussi que tu ignorais les relations de ta fille et de cet homme… Mais il y a des responsabilités morales !

— Est-ce ma faute si je suis pauvre ? gémit Mme Pioutte, est-ce ma faute si Virginie n’a pu trouver autour de nous ce qu’elle attendait de la vie, si elle voulait un bonheur que mes moyens ne me permettaient pas de lui offrir. Certes, si mon pauvre mari avait vécu, je me serais efforcée de la distraire… Elle rêvait trop, cette petite ! Il aurait fallu la mener au théâtre, dans le monde, en voyage… Était-ce possible dans notre situation ? À qui la faute si elle a fini par faire ce coup de tête ?

— Ah ! tu l’excuses ? fit l’abbé, je m’y attendais ! Ah ! c’est du nouveau, cela, par exemple ! Dis-moi donc qu’elle a bien agi, que tu l’approuves, que…

— Je ne dis pas cela, mais…

— Tu es trop bonne ! s’écria l’abbé avec un rire sarcastique, et tu veux que je ne te rende pas responsable de tes enfants, quand je vois ce qu’ils deviennent tous ! Comment les as-tu donc élevés pour en faire ce qu’ils sont ? Quel exemple leur as-tu donc donné ? Dans quel milieu corrompu ont-ils passé leur jeunesse ? Tremble que Dieu ne te demande des comptes ! Ah ! elle est propre, ma famille ! C’est quelque chose de joli que tout cela ! Un garçon qui vit avec une maîtresse…