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de se marier tant qu’il ne posséderait pas cette somme. Et sa désolation augmentait à mesure qu’elle voyait moins de possibilités de la découvrir. Elle s’exaspérait à la pensée que son frère les avait, ces vingt mille francs, qu’il pourrait les lui donner, s’il voulait, et qu’il n’en ferait rien, elle pensait à lui avec haine, elle éprouvait cette frénésie de désir, cette convoitise brûlante qui fait que des femmes volent dans les magasins et que tant d’êtres assassinent pour palper de leurs mains sanglantes un peu du prodigieux métal. Son esprit et son corps se tendaient et se contractaient dans la soif affreuse de cet argent, qui devenait pour elle la condition unique de l’avenir, de la réussite et de la gloire de son fils bien-aimé.

Mais rien ne forcerait un peu de cet or à tomber dans ses mains ! Il avait beau en circuler autour d’elle, elle n’en toucherait nulle part ! Charles ne se marierait pas ; son petit-fils serait un bâtard, et un jour, l’abbé Barbaroux, apprenant tout, chasserait le pauvre peintre et l’abandonnerait à son sort ! Comment cacher longtemps ces hontes aux yeux du vénérable prêtre ? Il avait lui-même chargé un de ses camarades, l’abbé Thomas Trenquier, de lui envoyer de loin en loin quelques renseignements sur son neveu. L’abbé Trenquier ignorait jusqu’ici ce qu’avait si finement découvert l’amie de Mme Pioutte, il finirait tout de même par le savoir et l’écrire à Théodore. Et alors ce serait la catastrophe !

À ce moment, Rosita, la bonne, une brunette, jolie et fraîche, vint annoncer que Mme Maubernard attendait Madame dans le salon du rez-de-chaussée.

Mme Maubernard avait quelques années de plus que Gaudentie. C’était une femme assez grande, qui avait été fort grosse et qu’une maladie d’estomac avait extrêmement maigrie. Sa peau, ayant eu beaucoup de graisse à retenir, s’était mal habituée à se vider ainsi ; les dimensions en demeuraient, mais non point ce qui les avait remplies, de telle sorte que Mme Maubernard donnait l’impression d’une baudruche dégonflée. Ses joues longues pendaient, avec des plis tombants qui communiquaient à ses traits quelque chose de pleurard. De larges fanons réunissaient son menton flasque à son cou ridé.