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XXVI

L’OURS ET L’AMATEUR DES JARDINS


Lorsque l’abbé Barbaroux, de retour dans la sacristie, eut enlevé sa chasuble, son étole et son aube, Mathenot, qui venait de servir la messe, lui dit d’une voix grave :

— Monsieur le directeur, j’ai à vous parler.

— Encore, fit le directeur, avec un léger mouvement d’impatience.

— Oui, monsieur le directeur, encore, répondit Mathenot, respectueusement, mais avec fermeté.

— Eh bien ! quand vous aurez déjeuné, venez me trouver au salon.

Barbaroux l’y attendait déjà quand Mathenot parut. Ils se regardèrent tous deux avec inquiétude, chacun d’eux, — et ils le sentaient bien, — contenait un peu du destin de son interlocuteur. Mathenot s’assit gauchement dans un fauteuil, et la lumière blonde de mai, qui tentait d’explorer le sombre salon, faisait paraître plus rude son visage disgracieux, austère, rébarbatif et grêlé.

— Eh bien, Mathenot, qu’avez-vous à me dire ?

— Avant de commencer, déclara brusquement Mathenot, il faut que je vous explique… Oui, ma conduite doit vous paraître mystérieuse, il faut qu’elle soit claire. Vous pourriez vous étonner de mes paroles… Et vous ne savez pas ce que vous êtes pour moi ! Non, parce que je suis pieux, inflexible pour autrui comme pour moi-même, on me croit dur, implacable, sans cœur. Je suis pourtant sensible à l’affection tout comme un autre… S’il y a ici quelqu’un qui vous aime vraiment, monsieur le directeur, c’est moi ! Cela vous étonne que je parle ainsi ? Mais, enfin, vous êtes un homme de cœur et un homme de foi, vous ! Vous seul travaillez réellement pour Dieu ! Vous avez entrepris une grande œuvre que j’estime, que j’admire, que je vénère. Ah ! lorsque je vous vois entouré de