— Je ne te dirai jamais assez combien je te suis reconnaissant de ce grand service ; tu me sauves la vie, s’écria l’abbé Barbaroux en pressant énergiquement entre les siennes les mains grasses et molles de son ami.
— Je t’en prie, je t’en prie, n’en parlons plus ! disait Bonsignour, en secouant la rondeur de ses lourdes épaules.
— Mais je ne t’ai pas fait de billet ! dit tout à coup l’abbé Barbaroux.
— Cela n’a pas d’importance. Tu me le donneras samedi !
— Ah ! non. Si je meurs ! Il te faut bien une garantie… On ne sait ni qui vit, ni qui meurt.
— À quoi vas-tu penser, Théodore ? Tu deviendras centenaire ! répliqua le gros abbé, qui avait horreur de songer à la mort, à celle des autres comme à la sienne.
— Je ne crois pas, dit tristement l’abbé Barbaroux, je ne vais pas bien depuis quelque temps. Je vieillis beaucoup, beaucoup…
— Eh bien, fais-le demain, si cela te tracasse et envoie-le-moi par la poste. Et à samedi !
Ils se serraient la main, amicalement, avec cette cordialité de l’adieu qui ferait croire que l’on est tout aise de se quitter.
— As-tu vu ce jeune homme qui me précédait tantôt ? demanda Bonsignour.
— Mais oui, je l’ai remarqué. Il est très poli. Qui est-ce ?
— C’est Sylvestre Legoff, le fils de l’agent de change, dit l’abbé Bonsignour, en s’éloignant, c’est un jeune homme plein d’avenir !