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qu’à sauver un enfant et à préserver une âme, je serais payé au delà de toutes mes peines.

— Ah ! tu as choisi la meilleure part, toi, dit jovialement Bonsignour, tu es un apôtre, tu es un saint…

Barbaroux protestait avec énergie, en agitant ses mains ridées, comme pour écarter de lui ces éloges.

— Si, si, mon cher, répétait Bonsignour. Tu as entrepris une grande œuvre. Tu formes de bons chrétiens, tu les préserves des erreurs du siècle. Tu prouves que seuls les vrais disciples de Notre-Seigneur sont des hommes de grand caractère. Tu cultives une pépinière de belles âmes. Tu régénères la ville en y semant le bon grain à pleines mains. Ah ! je t’envie ! Moi, je suis bien petit auprès de toi. Non, ne le nie pas, je le sais. Je fais mon salut selon mes moyens, je n’ai rien d’un apôtre, mais il me suffit de penser que mes jours sont parfumés de vertu et que je peux compter sur la miséricorde infinie de Dieu. J’ai confiance en lui, Théodore, Dieu n’en demande pas plus.

— Tu as raison, dit naïvement Théodore.

Ainsi les deux prêtres devisaient en marchant le long des rues humides. Et Barbaroux, tout heureux de trouver auprès de lui ce cœur fidèle et de sauver les Caillandre, songeait moins à cette attitude de Cécile, dont il avait tant souffert.

Rue Sainte, ils entrèrent ensemble dans le corridor d’une maison. Barbaroux y demeura, tandis que Bonsignour gravissait péniblement les marches de l’escalier. L’attente fut longue. Le vieil abbé commençait à craindre que M. Legoff ne pût prêter la somme à son client. Tandis qu’il s’inquiétait, un jeune homme traversa le couloir d’un pas rapide. Il salua poliment, et Barbaroux le jugea sympathique, avec sa figure ouverte, brune et martiale, la longue moustache noire qui la coupait et son regard vif et franc. L’abbé Bonsignour descendait derrière lui. Il tendit une enveloppe à son ami.

— Voici la somme. Nous avons eu de la chance. Figure-toi que M. Legoff allait partir ! Nous sommes arrivés juste à temps. Il ne faut pas se faire de bile à l’avance.