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Il s’était redressé dans toute l’indignation de sa surprise, rouge, congestionné, les yeux pleins d’éclairs.

Elle ne protesta pas et baissa la tête, avec un accablement indicible. En face de cet homme, qu’elle atteignait au plus profond de son culte pour l’honneur, la conscience et le désintéressement, tout son orgueil l’abandonnait. Et sa honte et son humiliation lui rongeaient le cœur comme un cancer. Elle eut un geste de lassitude immense, et se cacha les yeux, de sa main gantée. Elle entendit tonner la voix de son oncle :

— Quelle honte ! Quelle honte ! Et moi, qui le croyais un honnête homme ! Mais tout le monde parlait de sa probité. Comment aurais-je pu croire ? Mais c’est un vaurien, un… brigand, un…

Alors Cécile releva le front et parla avec netteté :

— Ne l’accusez pas, mon oncle. Ce n’est pas sa faute. C’est moi qui l’ai poussé là, c’est moi seule, qui suis responsable de… cet acte… Mon père gagnait beaucoup d’argent. Nous avons été élevées à ne pas compter, à tout dépenser. J’ai forcé Louis à des achats qu’il me refusait, je l’ai entraîné au gaspillage et à la dissipation. Je l’ai acculé au crime… Oui, moi, moi seule. Il est vaniteux, — comme tout le monde. J’ai su exploiter ce vice. Je lui disais : « Mme Une Telle a fait faire sa robe chez cette couturière. Son mari a un poste inférieur au tien. Souffriras-tu que ta femme soit plus mal habillée qu’elle ? » Louis a le sens de la hiérarchie, fit Cécile, avec un demi-sourire, cela prenait toujours. Nous recevions pour ne pas nous laisser distancer par un sous-chef, nous allions au théâtre, aux premières numérotées, parce qu’un autre employé le faisait.

— Mais ne voyais-tu pas où tu conduisais ton mari ?

— Si, je le voyais, fit Cécile, les yeux fixés à terre sur le tapis usé.

Elle ajouta, après quelques secondes de silence :

— S’il faut tout vous dire, mon oncle, je vous avouerai que j’ai ruiné Louis, consciemment. Comprenez-moi bien : cons-ciem-ment. Je ne voulais pas l’épouser, ma mère m’a forcée à ce mariage. Les premiers temps, je m’ennuyais à périr dans cet intérieur. Louis est un brave