— Vois-tu, mon petit, si ton oncle savait tout cela, il serait capable de tout, il te supprimerait peut-être même ta pension ! Et alors qu’est-ce que tu deviendrais ?
— Le fait est que ça ne serait pas rigolo, déclara Charles.
— Tu as fait une bêtise, Charles, répare-la.
La proposition était si inattendue que Charles vira prestement sur ses talons.
— Qu’est-ce que tu me chantes là ? grommela-t-il.
Mme Pioutte ne songeait qu’à interrompre une situation qui pouvait brouiller son fils avec son frère. Puisqu’il se refusait à abandonner sa maîtresse, il ne lui restait plus qu’à l’épouser.
— Marie-toi, fit-elle. Tu m’as dit toi-même que tu le ferais volontiers, Mlle Jouve étant…
Elle s’arrêta devant l’ahurissement du peintre :
— Est-ce que ce n’est pas une jeune fille de bonne bourgeoisie, obligée de devenir institutrice et que tu as rencontrée chez des amis…
— Oui, oui, s’écria Charles, qui se rappela à temps le formidable récit qu’il avait raconté à sa mère et déjà oublié.
— Épouse-la donc, répliqua Mme Pioutte.
Tout en causant, l’ingénieux Charles entrevoyait peu à peu les lignes d’un plan machiavélique. Il souffrait de sa misère, des besoins sans nombre le poursuivaient, il désirait une installation plus luxueuse que le garni où il logeait, les créanciers le harcelaient, et il n’apercevait, dans le cruel souci de sa mère, que le moyen de lui tirer une nouvelle et colossale carotte.
Il s’écria donc avec amertume :
— Comment veux-tu que nous nous mariions ? Il faut de l’argent pour cela ! Ce n’est pas toi qui nous en fournira… Nous sommes des sacrifiés, il faut bien accepter avec résignation la douloureuse existence des sacrifiés.
— Ne dis pas cela, Charles !
— Pourquoi ? C’est la vérité. C’est bon pour les riches de se marier. Ah ! si mon oncle, au lieu de dépenser tant d’argent pour ses coûteuses fantaisies, en avait gardé un peu plus pour nous, nous n’aurions pas une si misérable