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creusée, de ses épaules amaigries. Les yeux lui sortaient de la tête, rouges et pleins de larmes, un râle jaillissait entre ses dents. Une de ses mains se crispait contre le drap, l’autre pétrissait sur sa bouche un mouchoir que ternissait le sang. Une des roses glissa du lit et tomba avec un bruit mat. Grandsaigne s’était élancé vers la malade et lui faisait boire de force quelques gouttes d’une fiole. Madeleine retomba en arrière, déjà plus calme. Elle haleta un moment encore, puis s’apaisa et murmura :

— Je vous demande pardon… Tout cela est ridicule…

Après quelques minutes de silence, elle ajouta :

— Jean, de la musique…

C’était la première fois qu’en public elle appelait aussi familièrement le compositeur. Mais à qui va mourir qu’importent les bienséances mondaines ?

Larquier se leva, la tête basse. Sa grosse barbe noire cachait mal la contraction de son visage douloureux. Nous étions tous glacés d’épouvante. Il commença à jouer la dix-septième sonate de Beethoven, que Madeleine aimait infiniment. Aux premières mesures, elle fit signe qu’elle n’en voulait pas. Sassily frappa sur l’épaule de Larquier pour qu’il s’interrompît.

— Non, dit-elle, tout bas. Cela est trop grand ! Des valses…

Il joua celles qu’on ressassait alors dans les casinos et les restaurants de nuit, des danses gaies ou mélancoliques, sensuelles ou langoureuses, d’une banalité trivialement rêveuse, d’une sentimentalité artificielle et déprimante, airs d’un rythme