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et frissonnantes comme une chair ; celles-là, noires comme l’hirondelle, et d’autres qui avaient la nuance du temps d’automne, de l’abricot trop mûr ou de l’héliotrope en fleur. Et il y avait même une robe couleur de la lune et une robe couleur du soleil !

Je passai une soirée mélancolique, je relus les lettres que j’avais reçues de mon amie. Je l’y retrouvai tout entière, avec son intelligence aiguë, son ardeur, sa sensibilité, son besoin éperdu de tendresse, je revécus des épisodes de notre liaison, et de ce passé remué, montait une tristesse qui me déchirait la gorge. Des gants, des portraits, des cheveux s’échappaient des enveloppes à peine jaunies, elles exhalaient le parfum de violettes et de racines d’iris dont Madame de Pleurre aimait à s’imprégner, et chacun de ces papiers multicolores et soyeux m’apportait des souvenirs à demi rongés par le temps comme les images d’une vieille tapisserie. À mesure que je songeais à eux, ces missives s’échappaient de mes doigts, avec leurs dates de jours morts et leurs phrases caressantes, comme si le poids des cires irisées qui les scellaient les entraînait vers le sol. Elles tombaient comme des feuilles sèches détachées d’un arbre d’amour, je voyais fuir des figures, se faner les faces chéries d’un passé déjà lointain, tout se flétrissait en moi et hors de moi, les lumières s’éteignaient partout, et creusant, jusqu’au désespoir, une détresse corrosive, je crispais mes mains vides et pleurais de la fuite irréparable des choses, du perpétuel écoulement des êtres, des pensées et des formes, dans un glissement infini !