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bras, et nous dûmes précipitamment la ramener chez elle, en voiture.

À la suite de ces défaillances, les amies de Madame de Pleurre lui prodiguaient exhortations et conseils, mais elle ne voulait rien entendre. Une sorte d’inquiétude nerveuse l’entraînait sans cesse vers la jouissance ou vers l’oubli. Nul n’avait assez d’empire sur elle pour la contraindre à une plus prudente conduite. Veuve, indépendante et très libre de caractère, elle se moquait de nos avis et n’écoutait que la voix terrible de ses caprices.

Peut être y a-t-il dans certaines déchéances consenties un étrange et fascinant bonheur. Madame de Pleurre paraissait aimer le souffle furieux qui l’emportait vers la tombe et en rechercher elle-même les courants les plus rapides et les plus désordonnés. À la torpeur des années résignées et trop calmes, certaines natures vibrantes préfèrent la douleur et l’angoisse, et la mort leur devient désirable, sitôt que leur destinée n’est plus un orage qui dure. Qui donc aurait retenu Madeleine de Pleurre sur cette rive-ci de l’univers ? Penchée vers l’abîme qui l’attirait, elle en absorbait les effluves, avec une conscience absolue. Rien n’arrête l’élan de ceux qui ne recherchent dans un acte que sa part de folie. La connaissance du mal a sa plénitude et sa sérénité, tout autant que celle du bien. Il y eut dans les derniers plaisirs dont se grisa Madame de Pleurre un peu de la férocité d’un suicide. Et pourtant jamais elle n’aima la vie, comme elle le fit dans ces mois de démence qui la tuèrent. D’une main qui tremblait déjà, elle saisissait les choses de la terre,