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LE RESTE EST SILENCE…

Et, chaque fois, la même scène recommençait, et jamais ma mère ne songeait à s’arrêter quelque part, car elle était bien trop occupée à tourner la tête, de droite et de gauche, pour voir qui passait… Et je ne sais trop qui elle cherchait ainsi, quand nous allions, tous les deux, la main dans la main, au long des rues tièdes, par ce printemps chargé d’indolence, comme d’un sang trop lourd, et qui nous mettait dans tout le corps un vague désir de fatigue, de repos et de douceur.


C’était aussi une des nombreuses époques de l’année où ma mère passait d’interminables heures chez sa couturière. Une sorte de fièvre bavarde et joyeuse l’agitait. Elle parlait à table d’étoffes, de volants, de coupe, elle employait des expressions techniques et savantes, les yeux brillants, les joues colorées et comme fardées de plaisir. Mon père concluait, le front maussade :

— Avec tout ça, c’est moi qui paierai la note.