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LE RESTE EST SILENCE…

comprenait rien à la musique et disait qu’elle n’est bonne qu’à détraquer les nerfs. Il était soutenu dans cette aversion par ma tante qui n’y comprenait rien de plus que lui et qui en voulait cependant à sa belle-sœur de cette supériorité qu’elle avait sur elle. Ma tante Irma et son frère s’accordaient à dire que, dans leur famille, personne n’avait jamais joué d’aucun instrument et que pourtant tout le monde y avait été fort honnête.

Ce jour-là, mon père fut particulièrement vexé, parce que j’écoutais, sans doute.

À table, il déclara :

— Je t’ai déjà dit, Jeanne, que je n’aimais pas t’entendre jouer. Tu ferais mieux de t’occuper de ton ménage ou du travail de Léon. Tu t’excites les nerfs avec ces morceaux extravagants, et tu excites aussi ceux de ton fils. Si tu joues encore à ces heures-ci, je me verrai obligé de te faire enlever le piano…

— Vous m’avez enlevé assez de choses, déjà, dit ma mère en enroulant autour de son index une des bouclettes de sa chevelure, cela ne fera qu’une de plus.