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LE RESTE EST SILENCE…

pièce, où des cloisons de bois et de verre opaque séparaient les commis des clients. À notre voix, ils sortirent, un à un, de leur tanière. Ils étaient trois, sans compter Célestin, un gamin chargé des courses. Il y avait un vieux, prodigieusement bavard, avec une grosse figure rouge à moustache hérissée et à cheveux plats et rares. Je l’aimais, parce qu’il me donnait souvent une pièce de dix sous, quand nous entrions le saluer dans son bureau, mais maman craignait ses galanteries ridicules et ses histoires interminables, le récit, entre autres, d’une certaine bataille en 71 où il s’était conduit héroïquement et qu’il nous racontait chaque fois. Maintenant ce héros se livrait à la copie de lettres et s’acharnait sur la presse, avec la même fureur que s’il eût dû y broyer un Prussien ou un Bavarois, armé de pied en cap.

Après lui, venait un grand diable morne au long nez, un de ces êtres ridicules et martyrs à qui tout a raté dans la vie et qui sont grotesques jusque dans le mal-