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LE RESTE EST SILENCE…

j’aspirerai de toutes mes forces, jusqu’à ce que son courant s’épuise, que son eau se raréfie, et que pour jamais elle s’arrête. Du moins, quelques années encore, je trouverai ici, à peine séchées, presque pas mortes, les algues que son flot charriait…


Le lendemain de cette longue nuit d’attente, je m’éveillai comme d’une maladie, brisé, incertain, encore ignorant de ce je ne savais quoi qui rendait mes membres si lourds et ma pensée si douloureuse. Un chagrin persiste en nous, même quand nous l’oublions. Nous le sentons, sans songer à lui. Il y a des gaietés momentanées qui portent ainsi une intolérable tristesse, comme une vague joyeuse peut porter un invisible cadavre.

Et soudain, avec la lumière révélée, avec les bêtes lumineuses du soleil entrées dans ma chambre, comme des troupeaux indomptés et vivants, le souvenir me revint, le souvenir du drame qui tourbillonnait au milieu de nous, comme un gouffre tour-