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LE RESTE EST SILENCE…

ne fondra l’amas des glaces accumulées. À l’évolution succédera l’immobilité, au mouvement la stupeur. Qu’importera, alors, que j’aie existé ou non, souffert ou non, oublié quelques années plus tôt ou quelques années plus tard et à quoi sert, par conséquent, que j’écrive, ce soir si pénétrant et si voilé, ce que j’ai connu de la dure vie au temps de ma lointaine enfance ?

Et pourtant, comme un naufragé à une épave, je m’accroche à mes souvenirs, je me cramponne à leur masse réelle, j’ai besoin de leur poids dans ma vie. Déjà, l’oubli m’étreint. La mort est en chacun de nous, qui fait son œuvre. Quand son travail cesse, nous disparaissons, mais nous mourons chaque jour un peu ; la mort n’est pas une intruse introduite par effraction, au déclin de notre vie, elle est notre compagne constante. Chaque instant la prépare. Et c’est pour retarder son œuvre que je fixe à présent pour moi seul ce qui me revient du passé, de ce passé que je bois à genoux, penché vers lui comme l’on fait vers une source, une source tarissable que