Page:Jaloux - Le reste est silence, 1910.djvu/156

Cette page a été validée par deux contributeurs.
146
LE RESTE EST SILENCE…

il n’y a point de comptoir, ni d’objets à vendre. Beaucoup de femmes sont là, assises, et elles parlent toutes à la fois ; je n’entends pas ce qu’elles disent, mais je comprends qu’elles s’entretiennent de maman, elles ricanent, et, certainement, elles disent du mal d’elle. Je veux la défendre et j’ouvre la bouche pour protester, mais aucun son ne sort de mes lèvres : c’est une angoisse atroce que de se sentir brusquement muet. Je me retourne vers ma mère, étonné de son silence. Je vois avec épouvante qu’elle ne m’accompagne plus. Je pousse un cri et m’élance au dehors ; elle court le long des maisons. Je me jette à sa poursuite pour la rejoindre, et, comme, hors d’haleine, je la rattrape, je recule, terrifié… L’être que j’ai suivi, que j’ai saisi par le coude, ce n’est pas maman, que j’ai perdue dans la nuit pluvieuse. Je reconnais le commis de mon père, ce garnement qui ricanait toujours quand je quittais le bureau, comme s’il caressait le rêve de me jeter au bas de l’escalier. Il se réjouit de me voir et veut me prendre par la main,